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La liberté de conscience au prisme des appartenances religieuses

Cet article est paru dans le bulletin trimestriel Présences n°4 du dernier trimestre 2017, édité par l’Institut Bennabi de Strasbourg.

Pour consulter le bulletin en totalité : fichier pdf Présences 4.

Cf également la page Facebook de l’Institut : https://www.facebook.com/institutbennabi/.

 

La liberté de conscience représente un élément fort de la modernité dans la mesure où c’est un principe qui reconnaît l’autonomie d’un sujet libre de déterminer ses choix de vie. C’est également un principe inscrit dans le droit civil, il concerne à la fois des individus et des groupes humains, dans leur rapports internes et dans leur rapport à la société. Parler de “liberté de conscience” nécessite de distinguer l’autonomie de choix des individus, dont le caractère absolu doit être garanti, et les restrictions qui peuvent être apportées à l’expression des choix individuels par les dispositions du droit. C’est pour cela que la liberté d’expression, par exemple, fait l’objet d’un encadrement légal, afin que les droits des uns ne puissent porter atteinte aux droits des autres. Dit d’une autre façon, en partant du principe que les individus ne sont pas des êtres isolés, vivant en autarcie et coupés du monde, ce sont les implications sociales de la liberté de conscience qui font l’objet d’un encadrement par le droit et qui peuvent, de fait, être limitées.

La liberté de conscience dépasse la liberté religieuse

Il est nécessaire, d’emblée, de bien distinguer la liberté de conscience et la liberté religieuse. Alors que la seconde concerne le fait qu’un individu doit être respecté dans son identité confessionnelle et ne pas subir de discrimination ni d’exaction de fait de sa religion, la première indique plus largement la possibilité d’avoir, de ne pas avoir et de changer de conviction, qu’elle soit religieuse ou non. Les rédacteurs des grands textes internationaux se sont attachés à définir le contenu des termes, à l’instar de la Déclaration universelle des droits de l’homme, promulguée en 1948 et qui stipule, en son article 18 :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ».

Le contenu de cet article a été repris à l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, du 16 décembre 1966. L’expression : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion » est également inscrite telle quelle dans l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, du 4 novembre 1950 et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, du 28 juin 1981 stipule, en son article 8 : « La liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion sont garanties ». Enfin, pour terminer cette courte présentation, la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondée sur la religion ou la conviction, promulguée en 1981, reprend in extenso l’expression de « droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion » déjà mentionnée dans les précédents textes. Cette dernière déclaration représente le premier texte spécifiquement consacré au respect de la liberté de religion ou de conviction.

On peut formuler une critique sur la portée juridique, faible ou nulle, d’un certain nombre de textes internationaux qui ne possèdent aucune force contraignante pour les États qui les ont ratifiés. Cependant, une telle critique doit être relativisée dans la mesure où certaines conventions internationales, qui revêtent cet aspect contraignant, garantissent de manière explicite la liberté de conscience et la liberté religieuse. Ces deux libertés sont reconnues aussi bien aux adultes qu’aux enfants. Pour ces derniers, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, datant de 1989, mentionne en son article 14, alinéa 1, que : « Les États parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion », en indiquant – à l’alinéa 2 – que les parents ou les tuteurs légaux ont « le droit et le devoir de guider [l’enfant] dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités ».

Combattre les totalitarismes étatiques et communautaires

La garantie de la liberté de conscience et de sa traduction concrète, la liberté d’expression publique des convictions et des appartenances de groupe, préserve les individus d’un système totalitaire dans lequel les opinions et les appartenances seraient contrôlées, a minima, ou encore figées – lorsque l’individu ne peut sortir de son appartenance première à une conviction ou à un groupe – voire interdites, comme le fait, pour un individu, d’exprimer une conviction ou une foi politiquement réprimée pour sa nature même. C’est par exemple le cas d’États qui répriment les expressions d’appartenance à une religion ou, à l’inverse, qui condamnent toute expression d’athéisme. D’un autre côté, la société n’est pas qu’une somme d’individualités ; les individus s’ancrent dans des communautés d’appartenance et il est du devoir de l’État de les protéger de toute forme d’aliénation qui serait susceptible de porter atteinte à leur intégrité physique et/ou mentale. Le cas est particulièrement sensible lorsqu’un individu est membre d’une communauté de foi dont les représentants, des leaders ou des institutions prétendent orienter les différents aspects de sa vie individuelle et sociale. Le Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques octroie cette possibilité d’action aux États lorsqu’il stipule, en son article 18, alinéa 2, que : « Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix ». De mon point de vue il est nécessaire, dans le cadre d’une société démocratique et plurielle, de garantir à l’individu la possibilité d’accéder à plusieurs visions du monde ou à plusieurs univers de sens en concurrence afin qu’il exerce sa liberté de penser, de choisir et d’agir en société. Cela revient à lui garantir le droit à être ce qu’il veut être, de changer d’options au cours de sa vie, dans le respect des droits des autres.

C’est à partir de ce double prisme que le cadre laïque doit être analysé ; il est malheureusement souvent mal interprété dans le sens où il ne s’agit pas d’une “religion civile” mais de la garantie que chacun puisse avoir la possibilité d’exercer sa responsabilité d’individu dans son rapport au monde. De même, il ne s’agit pas de “mettre les religions au pas” en les empêchant de participer aux débats de société, mais de faire en sorte qu’elles ne puissent plus prétendre définir ou régenter les règles de la vie sociale et les identités des individus en position d’hégémonie. En aucun cas des communautés religieuses ou leurs membres ne peuvent porter des revendications publiques qui atteignent les droits d’autrui ou le fonctionnement de l’espace social, ou encore le fonctionnement des institutions de la société. Les cas illustratifs de cette situation sont nombreux, je me contenterai ici d’en citer quelques-uns parmi ceux qui défraient la chronique hexagonale de façon récurrente. Ils concernent des demandes de prise en compte d’une particularité liée à l’appartenance confessionnelle, au carrefour du libre choix d’un individu et des conséquences sociales de ce choix, en cadré au niveau du droit à partir des grands textes précédemment évoqués. Dans le milieu hospitalier, on doit par exemple distinguer la liberté accordée à tout un chacun de prendre un rendez-vous avec le praticien de choix, et la non possibilité d’un individu qui se présente aux urgences ou pour un accouchement de refuser d’être pris en charge par un professionnel de l’autre sexe. Le premier cas n’impacte pas le fonctionnement des services concernés, alors que le second conduit parfois des individus à faire obstruction au fonctionnement du service, voire à s’en prendre physiquement au personnel hospitalier de l’autre sexe, avec à la clef des condamnations devant les tribunaux. Cette distinction est sensiblement la même dans le cadre des services de restauration publique ou privée. D’un côté, certaines municipalités refusent de prendre en compte la diversité des rapports à l’alimentation des familles, au-delà même des convictions religieuses, en arguant du fait que l’inscription de leur enfant au service de restauration ne revêt aucun caractère obligatoire. On peut légitimement discuter de la dimension idéologique d’un tel argument, notamment lorsqu’il prétend prendre appui sur le caractère laïque du service de restauration scolaire. D’un autre côté, il convient de distinguer la demande de ne pas servir d’alimentation carnée à l’enfant et la revendication d’introduction d’aliments spécifiques en lien avec des convictions diverses et variées. Accepter d’aller sur ce terrain reviendrait à obliger un service de restauration à se plier à une multitude d’exigences, parfois contradictoires – les interdits alimentaires étant très divers – impactant de fait tout son fonctionnement. Dans le cadre de la restauration collective privée, les règles liées au circuit alimentaire sont également précises ; en juin 2011, un employé du restaurant de l’entreprise Hewlett Packard des Ulis a ainsi été sanctionné par son employeur pour avoir accepté, à la demande d’une employée de confession musulmane, de lui faire cuire des steaks congelés qu’elle lui apportait, car elle se plaignait de manger quotidiennement des frites et du poisson[1]. Les rites funéraires sont aussi parfois l’objet de tensions ; si le ministère de l’Intérieur a édicté plusieurs circulaires, depuis les années 1970, incitant les municipalités à faciliter les “regroupement de fait” de sépultures – appelés improprement “carrés confessionnels”, ceux-ci ne doivent pas être isolés physiquement du reste des tombes et en aucun cas une institution ou des membres d’une communauté religieuse ne peuvent s’opposer à l’inhumation, au sein de ce regroupement, d’un individu qui en avait fait la demande. C’est donc le maire, en qualité de premier magistrat de la ville, et non les représentants confessionnels, qui prend la décision d’organiser ce regroupement et d’inhumer. La situation a défrayé la chronique à plusieurs reprises, depuis les années 2000, lorsque des représentants juifs ou musulmans s’opposaient à ce que l’époux.se non juif.ve ou non musulman.e soit enterré.e avec son ou sa conjoint.e juif.ve ou musulman.e.

Le “pacte laïque” représente le cadre le plus approprié pour faire société

La prise en compte de l’articulation entre le principe de la liberté de choix, directement liée à la liberté de conscience, et ses implications concrètes dans l’organisation de la vie sociale, nécessite une réflexion de fond, aux niveaux politique et juridique, qui doit sans cesse prendre en compte les évolutions de la société. C’est dans ce sens que je considère le cadre laïque comme la forme juridique la plus aboutie d’une société démocratique au sein de laquelle le respect absolu des droits des individus a pour corollaire la nécessité de préserver les fondements de l’organisation de la société. De ce point de vue, les communautés religieuses possèdent une grande latitude pour définir les critères d’appartenance – et également de non appartenance – et d’organisation interne, mais en aucun elles ne doivent être en situation d’imposer leurs dogmes à l’ensemble de la société. Le cas du blasphème, qui indique l’idée d’une blessure et, par extension, de ce qui n’est pas acceptable pour l’institution religieuse, illustre parfaitement cette situation. Des communautés religieuses peuvent donc considérer que, de leur point de vue, certains propos publics relèvent d’une offense à l’encontre de leurs dogmes, de leurs représentants ou de leurs croyances. Mais elles ne peuvent en tirer comme conséquence la nécessité d’interdire des propos qui n’entrent pas dans le champ de la diffamation. En effet, le corollaire de la liberté de conscience s’étend jusqu’à la possibilité d’“outrage à la religion” par l’ironie et la satire. Cet aspect des dispositions légales relatif à la liberté d’expression entre en contradiction avec les règles du droit canon catholique et du droit islamique qui, sur un plan historique, ont posé l’interdiction d’exprimer des idées pouvant porter atteinte à leurs croyances ou dogmes fondamentaux. C’est un point très sensible dans l’islam contemporain puisque le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed al-Tayeb, affirmait encore récemment que les Egyptiens déclarant ouvertement leur athéisme devaient être condamnés au nom du blasphème.

Cette limitation de la possibilité, pour une institution religieuse, d’être en position d’hégémonie dans l’organisation de la cité, touche tous les aspects de la vie sociale. On peut citer à ce propos les règles de l’union, de la séparation des conjoints, d’appartenance et d’excommunication, les rapports de genre, etc. Les institutions religieuses édictent des règles d’appartenance et de gestion interne de leur vie cultuelle, elles agissent également dans la vie sociale, mais elles ne peuvent en dicter les règles d’organisation, qui relèvent de la volonté du peuple par la voie de ses représentants. Pour étendre le propos, cela n’empêche aucunement un parti politique de revendiquer un ancrage religieux, ou encore un individu de manifester publiquement, toujours dans le jeu politique, son appartenance religieuse. Cependant, si elle est élue, cette personne devra gérer, dans son mandat, les deux registres d’une dialectique spécifique, du moins en contexte français ; d’un côté, elle est libre de la manifestation de son(ses) appartenance(s) mais, dans ses fonctions de délégation de la puissance publique, elle devra s’abstenir de la(les) manifester, en respecter de la neutralité imposée aux agents publics et assimilés. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà confirmé le bien-fondé de cette restriction des libertés individuelles en considérant que le fait, pour un État, d’imposer la neutralité à ses agents, dans le cadre de leurs fonctions, n’entravait pas le respect de la liberté de conscience et était proportionnel au but poursuivi. Dans tous les cas, je pense qu’il est important de comprendre la logique sous-jacente aux grands principes du droit relatifs à la liberté de conscience qui ont été précisés et, pour certains, édictés au cours du siècle dernier. Ces principes évoluent parallèlement à l’évolution de la société et, aussi, aux conséquences de l’organisation des communautés confessionnelles et de leurs revendications de prises en compte de l’identité religieuse dans les espaces de la vie sociale et dans ma sphère publique de l’État. Il convient alors d’être prudent avant de considérer les restrictions de libertés individuelles en considérant d’emblée qu’elles représenteraient une atteinte aux droits fondamentaux des personnes.


[1] Cf, entre autres, « Les Ulis : un cuisinier mis à pied pour un steak halal », Le Parisien, 19 juin 2011, en ligne : http://www.leparisien.fr/essonne-91/les-ulis-un-cuisinier-mis-a-pied-pour-un-steak-halal-14-09-2011-

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