9 OPA sur la mosquée
Puis est venu l’ère de la consécration… celle où je deviendrai officiellement l’imam et le responsable du sermon du vendredi de la mosquée de Raismes, de 2001 à 2004, pour un peu plus de trois années qui marqueront à jamais mon parcours militant. Une fonction consécutive à une prise de pouvoir que nous avons savamment orchestrée, au sein de l’antenne valenciennoise des Frères Musulmans, durant près de quatre ans. Tout a commencé avec la structuration de cette antenne ; de deux recrues, en 1992, nous n’étions pas loin d’une dizaine de personnes à assister à la fameuse cérémonie d’allégeance qui se déroulera au siège lillois des Frères au cours du mois de septembre 1993. Le contexte était, finalement, assez dépouillé mais c’était pour nous une façon de pénétrer, enfin, l’antre des Frères, d’accéder aux mystères des initiés à travers une poignée de main et la récitation du pacte d’allégeance, lequel, transcrit dans la langue de Molière, signifie : « Je m’engage auprès de Dieu à m’accrocher à l’islam et à suivre de manière assidue ses préceptes fondamentaux, à respecter les obligations religieuses et à m’écarter des interdits religieux, à obéir au responsable [des Frères Musulmans] dans ce qu’il me commandera et qui sera conforme à ce que Dieu et son Prophète agréent, dans l’aisance comme dans la difficulté. »
Une fois intronisé, et épaulé par mon mentor, je serai la pierre angulaire de la structuration de l’antenne locale des Frères, jusqu’à en devenir le responsable officiel au tournant du siècle, non sans difficultés et remous, mais ceci est une autre histoire… Avec la création de l’association Jeunes Musulmans de France, en juillet 1993, notre association locale laissait désormais la place à une section de JMF, dont je prenais la présidence, et à partir de laquelle nous allions déployer un large éventail d’activités pour élargir la base militante, pas forcément adhérente mais située en tout cas dans notre sphère d’influence. Au milieu des années 1990, pour le simple arrondissement valenciennois, je supervisais une bonne vingtaine de cercles d’études, appelés dans notre jargon frériste « cercles introductifs » – halaqât tamhidiyyah – qui regroupaient au bas-mot pas moins de 230 personnes, hommes et femmes confondus. J’ai géré personnellement jusqu’à 5 cercles hebdomadaires, avec une vie militante centrée sur la diffusion du discours, l’encadrement éducatif et la structuration progressive de l’antenne valenciennoise. Ne déterrons pas la hache de guerre et n’évoquons pas les soubresauts d’une vie familiale en tension…
En 1996, après trois ans de mise en place des premiers cercles introductifs, nous intégrons la deuxième fournée des Frères adhérents – ikhwân multazimûn – alors que j’accède moi-même, au bout de ces trois années incompressibles, au second et dernier niveau d’adhésion des Frères en Occident, celui de membre actif, ou akh ‘âmil. Passés désormais de deux à plus d’une vingtaine de membres adhérents, la section JMF ne pouvait plus englober une panoplie aussi large d’activités mêlant le culturel et le cultuel ; il nous fallait réfléchir à l’établissement d’un siège en bonne et due forme, à partir duquel déployer l’ensemble de nos activités. Nous avions déjà deux ancrages principaux dans le valenciennois, l’un dans la mosquée qui deviendra le « fief » de mon mentor, à Escaudain, et l’autre dans la petite mosquée de Raismes au sein de laquelle nous étions près d’une quinzaine de Frères adhérents et réellement investis. C’est donc assez naturellement que nous établirons une sorte de fonctionnement « bicéphale » en alternant notre activité entre ces deux pôles géographiques, de manière assez pragmatique. Mais avant cela il nous fallait déployer une stratégie de « prise de pouvoir » en douceur dans les deux mosquées. De ce point de vue, je dois concéder que, dans notre groupe raismois, nous avons tenté d’allier l’idéologie au pragmatisme, mais tout de même… Nous en discutons, de temps à autres, avec d’anciens frérots qui, comme moi, ont fait un bon bout de chemin et des remises en question, depuis cette époque, et nous portons sans ambages un regard critique sur ce qui a pu nous conduire à évincer les anciens – en quasi des mineurs marocains et algériens – d’une manière un peu brutale.
La première étape a été la création – unilatérale –, au sein de la mosquée – un ancien atelier des mines -, d’une association culturelle contrôlée par les « Frères ». Les anciens ont acquiescé après quelques tensions et explications sur l’utilité de cette association, puis ils ont vu plutôt d’un bon œil notre investissement concret dans la transformation progressive de cet atelier en véritable mosquée : nous avons détruit assez rapidement le bâti vétuste et nous avons construit de nos mains, avec l’aide d’un chef de chantier professionnel, le nouveau bâtiment. Bon, moi j’étais plutôt du côté des gringalets qui peinaient à porter un parpaing, mais j’étais présent tout de même par mes invocations et mes encouragements !
La deuxième étape a été la prise de contrôle totale de la mosquée, entre 1999 et 2000, non sans d’âpres discussions ni sans tensions majeures avec les anciens. Au départ, le deal était assez simple : un ancien et un jeune occupaient alternativement les différents postes de titulaire et d’adjoint, et il en allait de même pour la présidence et la vice-présidence. Dans une petite mosquée comme la nôtre, le nombre d’adhésions progressives de Frères et de sympathisants suffisait amplement pour nous assurer un contrôle total des instances dirigeantes lors des élections, et quelques anciens soutenaient fermement cette idée de « transition ». Finalement, nous sommes passés à l’acte lors de la prochaine assemblée générale en prenant le contrôle total des instances administratives de la mosquée, mais nous allions devoir en gérer les conséquences pendant près d’un an et demi…