Quand j'étais imam

4 L’étudiant frériste au service de la bonne cause

C’est parallèlement à cette carrière de conférencier que je suis devenu « imam ». Waouh, le grand scoop… Au début des années 1990, sur le campus universitaire de Villeneuve d’Ascq, c’était la bataille de tranchées entre deux groupes islamistes ; la salle de prière de la résidence étudiante Gaston Bachelard était contrôlée par des membres de l’UOIF, affiliés au Frères-musulmans, tandis que celle de la résidence étudiante Hélène Boucher était contrôlée par un groupe dissident des Frères-musulmans, appelés Talâ’i’ – les avant-gardistes. Sur le fond, les doctrines étaient proches, mais sur la forme les seconds avaient choisi de recruter leurs militants à un niveau minimal de deuxième et de troisième cycle universitaire, alors que les premiers recrutaient beaucoup plus largement. J’avais questionné quelques « grands-frères » de l’UOIF sur les origines de cette concurrence entre les deux groupes. Le mouvement Talâ’i', issu d’une scission de Issam Attar, responsable syrien des Frères musulmans en exil, s’est structuré en Europe à partir du lieu de résidence du leader, à Aix la Chapelle, en Allemagne. En France, le mouvement a investi l’association Islamique des Etudiants de France, créée par le théologien Muhammad Hamidullah en 1963 et qui était tombée, depuis, en désuétude.

Les grands-frères, arrivés à la fin des années 1970 sur les campus universitaires français, m’ont indiqué qu’il y a eu de véritables batailles pour le contrôle des salles de prière des résidences universitaires, à l’issue desquelles les Frères musulmans ont quasiment éradiqué la présence des cadres du mouvement Talâ’i’. Ce n’était pas le cas pour le campus de Lille, et chaque groupe tenait à garder une main ferme sur la salle de prière qu’il contrôlait. Pour dire vrai, les étudiants s’en fichaient un peu et moi avec, voire n’étaient même pas du tout au courant, le principal étant de bénéficier d’un lieu pour y effectuer ses prières. Pour les deux groupes militants, le contrôle des lieux permettait à la fois de gérer le système de solidarité entre musulmans, au profit des plus démunis, de diffuser leur littérature et d’animer des cercles d’apprentissage et, surtout, de diffuser un discours plus large lors du sermon du vendredi. C’est à partir de l’année universitaire 1992-1993 que je vais être amené à conduire des prêches du vendredi ; ça, c’est vraiment de la balle ! Seuls ceux qui ont été amené à diffuser un discours devant un large public, silencieux, n’ayant aucun droit de protestation sur vous, peuvent comprendre l’effet que cela peut avoir sur l’ego. La personne non rompue à l’exercice se concentre sur ses propos, lit sa feuille de manière révérencieuse ; quant au vrai tribun, il trouve là l’occasion d’orienter un vaste public vers le chemin qu’il souhaite, car la plupart du temps les fidèles ne se posent pas de questions sur l’identité réelle de celui qui est face à eux et sur son véritable background, la capacité orale et la maîtrise du prononcé arabe étant ici les deux clefs fondamentales de l’assujettissement d’une bonne partie des consciences. De cela, j’en userai, et parfois en abuserai aussi, durant une carrière qui s’étalera sur une période d’un peu plus de dix ans.

A l’âge de vingt-deux ans, j’étais initié définitivement à la philosophie et à la réalité des Frères musulmans en Europe ; à vingt-trois ans, j’intégrais officiellement les rangs des Frères en France. Mes compétences allaient progressivement être mises au service de deux volets importants, à l’époque : la participation à la structuration du mouvement des Jeunes musulmans, qui se concrétisera par la création de l’association des Jeunes Musulmans de France, en juillet 1993, et la diffusion du discours frériste à travers conférences, cercles d’apprentissage et supports écrits. Quand je repense à toute cette période, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec certaines questions relatives à la légitimation et à la délégitimation actuelle des imams et des prédicateurs. Et j’en souris, avec le même regard espiègle que celui avec lequel certains anciens nous observaient lorsque, jeunes musulmans abreuvés à la littérature militante, nous légitimions et nous délégitimions leurs personnes, leurs discours et leurs pratiques. Je me souviens, une fois, au tout début des années 1990, nous étions tout un groupe de jeunes partis assister à une conférence donnée à la mosquée de Valenciennes – affiliée à la Grande Mosquée de Paris – par un savant algérien venu en tournée. Nous étions tous friands, à l’époque, de tout ce qui avait très au surnaturel, au monde des génies, à la possession de l’être humain, etc. Devant ses réponses assez rationnelles et argumentées remettant en cause la possession je m’étais mis, au fond de moi-même, à le dénigrer, remettant en cause chez lui un quelconque savoir en matière religieuse. Je n’en suis pas fier aujourd’hui…

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