Islamophobie : «On ne peut pas espérer changer la société seulement par le juridique»
Par Fouad Bahri, Lundi, Avril 18, 2016
Paru sur le site www.zamanfrance.fr
Omero Marongiu-Perria est sociologue, conférencier, acteur de terrain et directeur pédagogique de l’ECLEE (Centre européen pour le leadership et l’éducation entrepreneuriale). Il sort un guide pratique destiné à la communauté musulmane et orienté vers la résolution des problèmes locaux liés à l’islamophobie que rencontrent les musulmans. Il s’en explique dans un entretien qu’il a accordé à Zaman France.
A qui s’adresse précisément ce guide ?
C’est un guide qui est à destination des associations musulmanes cultuelles et culturelles qui affrontent des problèmes liées à l’islamophobie et qui voudraient développer des relations plus étendues avec des partenaires non musulmans sans savoir comment le faire. L’objectif pour elles est de se projeter dans le futur, dans des relations apaisées avec l’environnement et avec des parties non musulmanes.
Dans votre démarche, vous employez le terme de plaidoyer que vous opposez à celui de lobbying…
Parfaitement. En reprenant le plaidoyer dans le sens suivant : partir d’une situation vécue pour tendre vers quelque chose de plus universel. Les questions de l’islamophobie illustrent les difficultés de la société française à gérer des questions de diversité et à les prendre en compte. Mais je suis contre les stratégies de groupes, je préfère m’appuyer sur un argumentaire plus universel. La tendance protestataire ne suffit pas car on ne peut pas être un élément de changement dans la protestation. On ne peut pas espérer non plus changer la société seulement par le juridique. J’estime que les acteurs associatifs devraient se projeter sur deux ou trois ans pour intégrer d’autres éléments de changement en intégrant d’autres paramètres.
Dans un contexte de très forte tension politique et d’explosion de l’islamophobie, ces acteurs associatifs qui souffrent par ailleurs de moyens d’action humains et financiers, ont-ils réellement les moyens de cette politique que vous proposez ?
Ils l’ont. De juin 2014 à aujourd’hui, j’ai fait approximativement cent trente interventions, conférences et rencontres locales sur l’islam et je peux vous dire que certaines associations ont les ressources humaines et les moyens de réfléchir dessus. Prenons un exemple. Dans l’Est, nous avons différents acteurs musulmans cultuels et culturels. Un élu ne voulait pas les recevoir par dédain. Ces responsables musulmans n’obtenaient pas de salles pour leurs activités. Des établissements scolaires stigmatisaient des femmes voilées. La première chose qui semblait indispensable était que ces acteurs se regroupent et mettent en commun leurs capacités tout en développant des relations avec d’autres associations (type LDH ou associations de parents d’élèves). Ces associations l’ont fait et au fur et à mesure leurs capacités d’actions sur le terrain ont changé, en organisant par exemple des événements non confessionnels qui touchent d’autres publics et en travaillant sur des questions liées à l’école. A présent, ces acteurs se voient très régulièrement. Les acteurs associatifs locaux doivent impérativement observer quels sont les acteurs stratégiques sur leur terrain. Il leur faut également avoir un discours sur des sujets globaux comme l’environnement ou l’économie, et s’ils organisent des événements sur ces sujets faire intervenir un intervenant musulman et non musulman. Il faut leur montrer que nous sommes des acteurs associatifs ouverts sur notre environnement mais que nous voulons être respectés dans notre identité musulmane.
Le leitmotiv de ce guide tourne autour de la communication. Faut-il en conclure qu’une excellente approche en termes de communication suffirait à résoudre la plupart des litiges locaux ?
La communication ne suffit pas à elle seule mais dans le cadre d’une mise en confiance des communicateurs, elle est indispensable. L’attitude globale, la visibilité extérieure des musulmans va incontestablement indiquer une attitude rigoriste ou non. C’est le premier niveau de communication. Le discours, qui est le second niveau, a aussi un impact très fort. Quand un élu reçoit des responsables associatifs, il se demande : que veulent ces musulmans ? Comment se positionnent-ils sur des aspects locaux ? Ces acteurs doivent prendre les devants pour se positionner et pour créer un cadre de confiance. Certains musulmans ont des comportements de défiance avec leur environnement. Il faut partir d’une réalité, engager des discussions avec les élus locaux et dépassionner le débat en partant d’une approche religieuse vers une approche plus générale.
Pourtant, une grande partie des problèmes d’islamophobie comme l’exclusion des mères voilées aux sorties scolaires ou le refus des repas de substitution sont les conséquences de signaux politiques au plus haut sommet de l’État. N’est-il pas utopique d’espérer résoudre localement des problèmes qui revêtent une dimension politique fondamentale d’ordre national ?
Nous n’avons pas grand chose à attendre des politiques en matière de changement sur l’islamophobie, j’en veux pour preuve les propos de Valls et la cacophonie générée. Il faut prendre le contre-pied de ces attitudes négatives. Au plan local, on peut avoir accès aux élus locaux, aux partis prenantes, aux acteurs sociaux qui font la jonction à une échelle d’action plus réaliste. Le changement ne viendra pas par le haut, on voit les limites des démarches de contestation des réseaux sociaux. On ne peut pas demander aux acteurs locaux d’avoir les mêmes exigences idéologiques et de se positionner sur des enjeux qui les dépassent complètement.
Sur le cas de la viande halal à l’école, vous mettez en avant un point intéressant : la partialité des représentants des industries agroalimentaires présents au sein du Groupe d’Étude des Marchés Restauration Collective et Nutrition. En quel sens précis cette partialité nuit-elle aux revendications légales des familles musulmanes ?
Nous avons des industriels de l’agroalimentaire qui font des interventions dans l’école pour formaliser des revendications sur la bio alimentation. Nestlé fait des interventions sur les apports alimentaires en liant poissons, nutriments. Ce groupe est chargé de faire des revendications sur les produits carnés ou protéines animales et leurs grammages, c’est à dire la proportion de ces éléments dans les repas. Ces recommandations sont prises comme ayant force de loi alors même qu’elles sont de plus en plus coercitives. C’est une perversion complète de la démarche car ils partent d’un principe idéologique qui n’est pas impartial et tous les comportements et avis qui ne sont pas dans la norme partagée, sont stigmatisés. Derrière cela, c’est la possibilité de défendre des modes de vie alternatifs qui se voit menacée.
Le Guide pratique à destination des acteurs associatifs et des collectifs musulmans, mosquées – repas collectifs – sorties scolaires, est accessible ici :