Omero Marongiu, une voix dissonante de l’islam de France
Le sociologue appelle à une réforme de l’islam de France déconnecté des influences étrangères et intégré dans une culture française.
15/10/2015 par Anne-Sophie Hourdeaux, www.lacroixdunord.com
C’est un homme avec une foi décomplexée que nous rencontrons à Roubaix, après qu’il a donné une formation au centre social de l’Alma. Converti à l’islam à l’âge de 17 ans, Omero Marongiu a eu plusieurs vies. Militant musulman très actif dans les années 1990, il quitte tout en 2004 pour prendre du recul. Ses études en sociologie l’aident désormais à interroger sa foi dans le contexte français. Intellectuel aimant le débat, l’interreligieux le passionne, ainsi que la place de la religion dans la laïcité. Il a choisi de défendre le vivre ensemble, contre les discriminations mais aussi en étant dans la critique de sa propre religion. Ainsi, il rejoint les positions de Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, ou Ghaleb Bencheikh, intellectuel musulman. A 44 ans, il vit aujourd’hui dans l’ouest de la France, mais est encore très présent dans notre région puisque formateur à l’institut Eclée (formation à l’entrepreneuriat). Il prépare un guide de la laïcité à destination des professionnels de l’action sociale. Il accompagne également un travail de mémoire concernant les mineurs maghrébins. Il est proche des jeunes de Coexister, association interreligieuse qu’il soutient.Depuis les attentats à Charlie Hebdo, il a été sollicité par plusieurs médias nationaux, comme Témoignage Chrétien et La Croix où ses tribunes courageuses font entendre une autre voix de l’islam en France. Cette mise en avant lui semble indispensable pour appeler désormais à un « aggiornamento » de l’islam. Omero Marongiu propose une parole libre, apaisée, sage et construite, pour une société pacifiée qui regarde son avenir en face.
Musulman, converti, quel est votre regard sur le terrorisme qui se réclame de l’islam ? Comment le combattre ?
Le discours selon lequel les extrémistes qui ont commis les attentats en France ont mal compris la religion musulmane et le Coran n’est pas audible. Je rejette la position de mes coreligionnaires qui consiste à dire qu’on ne peut pas développer une lecture violente du Coran. Cela évacue une problématique de fond qui traverse l’islam contemporain.
Vous dites que le Coran est violent ?
L’argumentaire radical violent se trouve dans l’exégèse coranique qui considère que la liberté de conscience n’existe pas, que les musulmans qui se convertissent à une autre religion doivent être mis à mort, que les non-musulmans sont dans une position secondaire… La Bible elle-même comporte cette violence. Il faut une épistémologie coranique. ” L’exégèse est le produit de différentes époques et a été écrite par plusieurs personnes, comme pour la Bible. Il ne faut pas confondre le texte et le sens. On ne peut pas faire croire que le texte parle de lui-même, c’est l’homme qui l’interprète. Mais le problème de fond n’est pas la lecture coranique. Pourquoi ceux que j’appelle les « diffuseurs de savoirs » (imams, responsables associatifs musulmans…) entretiennent-ils une vision du monde issu d’un paradigme (vision du monde) exclusif et hégémonique ?
L’islam est-il appelé à vivre une « réforme » ?
Jusqu’à présent, nous, musulmans, théologiens, imams, responsables, n’avons pas été capables de quitter une vision du monde forgée au Moyen Âge, qui correspondait à un certain type de société. Cette conception du monde a été imposée par l’Arabie Saoudite qui est devenue une référence. Moi, je vis mon islam dans mon ancrage culturel, en France. Pourquoi s’arabiser quand on est musulman ? L’université d’al-Azhar en Égypte édite des lignes de conduite musulmanes, censure des livres, ne remet pas en cause les « fatwas » lancées contre tel ou tel. Pourquoi devrais-je tenir compte de l’avis de savants qui ne vivent pas en France ? Les leaders musulmans français et ailleurs entretiennent l’idée que la religion ne peut être définie que par les leaders religieux. Qu’ils arrêtent de s’arroger le droit de définir ce que c’est d’être musulman. Leur vision du monde est déconnectée de la réalité.
Le radicalisme ne naît-il pas surtout sur internet ? Les mosquées sont-elles responsables ?
Il y a une unanimité des responsables religieux à condamner les attentats et la violence. Mais leur discours au quotidien, qui va jusqu’à dire à une musulmane qu’elle ne peut pas prendre le train seule, repose sur une vision du monde qui est partagée par les radicaux violents. Les leaders religieux vont-ils oser affronter ce problème de fond ?
Le radicalisme n’est-il pas aussi l’échec de la société française, de l’école de la République ?
Il existe 3 modèles interprétatifs du radicalisme : celui socio-économique, celui néo-colonialiste et celui sur l’islam qui n’a pas fait son aggiornamento. Les 3 se rejoignent. Il faut renouer avec une éducation civique de base, complètement abandonnée, qui redonnera des filtres de compréhension du monde. Formons les jeunes au débat, à la polémique. Je trouve d’ailleurs que l’histoire-géo ne devrait pas être notée ! Elle ouvre au monde. Il faut considérer les élèves comme des êtres ayant un cerveau. Les professeurs doivent s’interroger sur la transmission du savoir, qui n’a pas évolué.
Quel est votre message aux musulmans ?
Il faut changer de paradigme : si l’égalité des citoyens, si les droits de l’homme font partie de ma conception du monde, je n’ai pas à porter de jugement sur les convertis, les femmes… Il ne s’agit pas d’une laïcisation de l’islam, mais une réponse religieuse dans un nouvel ancrage culturel.C’est un discours que l’on entend peu dans la communauté musulmane. Pensez-vous prendre des risques ?Non. Ma position n’est pas rare, elle rejoint celle de Tareq Oubrou notamment, mais oui, elle est minoritaire. Suis-je écouté par une personne ou par des milliers ? Je ne sais pas. Je fais ce que j’ai à faire.
Pourquoi beaucoup de musulmans n’ont pas voulu afficher “Je suis Charlie” ?
Cela a été interprêté comme “Je suis pour la raillerie des religions et du sacré”. Moi même j’ai été farouchement contre les caricatures de Charlie Hebdo ! Pas pour le côté blasphème car je m’en fiche. Mais selon moi, la caricature doit avoir une limite. Je dirais aujourd’hui que “Je suis Charlie car je ne suis pas Charlie”. Je me donne le droit de ne pas adhérer à la vision du monde portée par Charlie Hebdo. Mais entre les terroristes et les journalistes tués, je suis du côté de Charlie Hebdo sans ambiguïté. Je me reconnais même dans la peau d’un Charb…
Quel message adressez-vous aux non-musulmans ?
Les musulmans veulent être reconnus comme des citoyens à part entière. Il faut renouer avec un vivre ensemble basé sur un a priori positif. Le repli sur soi domine trop. Je souhaite aussi que les responsables politiques cessent de renvoyer les problèmes de la société à la religion : le chômage, l’échec de la politique publique pèsent beaucoup, et ne peuvent être réglés par les responsables religieux.
Quel avenir voyez-vous ?
Les musulmans aujourd’hui ont peur, car depuis trois semaines, on compte en France plus de 130 actes islamophobes. D’un autre côté, est né un foisonnement d’initiatives et de rencontres remarquable ! Des témoignages de sympathie envers les musulmans se multiplient ; l’interreligieux est boosté, des colloques pour déconstruire le radicalisme sont en préparation avec le CFCM (Conseil français du culte musulman). Il faut multiplier les rencontres entre responsables des religions et développer les universités populaires sur l’évolution de la société.*L’université al-Azhar, au Caire en Égypte, se veut la plus haute autorité de l’islam sunnite.