Peut-on organiser l’islam français ?
Cette tribune est parue dans Témoignage Chrétien le 10 mars 2015
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Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé le 25 février des mesures visant notamment à modifier la formation des imams en France. L’islam de France peut-il continuer à accepter cette tutelle qui se double de celle des Etats turc, algérien et marocain ? Sur quelles bases peut-il se fédérer de façon autonome ? Le gouvernement peut-il faciliter ce processus ?
Il n’y aura de structuration d’un islam français que par la volonté des musulmans eux-mêmes, encore faut-il qu’ils se situent dans une optique de construction collective, et plusieurs portes d’entrée peuvent être explorées pour y parvenir. Evacuons d’emblée l’argument selon lequel l’islam, par son absence de clergé centralisé, serait réfractaire à toute idée fédérative ; la situation a été la même pour la plupart des traditions religieuses présentes dans l’Hexagone, toutes ont pourtant créé leur fédération spécifique. Il convient cependant de préciser ce qu’on entend exactement par « représentativité des musulmans » ; s’agit-il d’une représentativité cultuelle stricto sensu, chargée de définir le contenu d’une théologie musulmane ancrée dans la laïcité, d’une organisation pour la gestion administrative du culte, d’une fédération pour la défense des intérêts communautaires musulmans, d’une institution de dialogue œcuménique entre sensibilités musulmanes, ou tout cela à la fois ? C’est là un point d’achoppement que les organisations membres du Conseil français du culte musulman (CFCM) n’ont jamais pu dépasser jusqu’à présent, pour plusieurs raisons.
Les trois raisons d’un blocage
La première est due au décalage entre les statuts du CFCM, la représentation qu’en ont ses membres dirigeants et le rôle qu’en attendent aussi bien les pouvoirs publics que les musulmans eux-mêmes. Depuis sa création, le conseil est ainsi pris dans des attentes contradictoires qui voient en lui une instance de représentation administrative du culte, de défense d’intérêts communautaires, d’élaboration d’une doctrine religieuse « adaptée » à la laïcité, ou encore de lutte contre le racisme et la discrimination à l’encontre des musulmans, sans compter les injonctions récurrentes des pouvoirs publics pour que l’instance diffuse un discours religieux d’apaisement pour canaliser les velléités des « jeunes des quartiers ».
La seconde raison renvoie aux intérêts divergents et aux positionnements des membres du CFCM ; à ce plan, force est de constater que, depuis sa création, celui-ci est pris dans des enjeux de contrôle à distance par les autorités algériennes, marocaines et turques à travers leurs ressortissants y siégeant. Toute nouvelle tentative de faire émerger une instance de représentation du culte qui ne rompra pas avec cette logique sera vouée à l’échec, et les pouvoirs publics français, qui ont entériné depuis 2003 cette situation, sont eux-mêmes un élément et une clef de résolution du problème.
La troisième raison concerne l’absence de fonds pour que le CFCM puisse réaliser ses ambitions. A ce sujet, les commissions de travail, au-delà de l’incompétence objective de certains responsables, n’ont jamais pu aller très en avant dans leurs missions faute de ressources financières adéquates.
Remettre à plat l’identité du CFCM
Comment donc sortir de cette impasse ? S’il faut oser quelques pistes de réflexions, disons qu’on pourrait commencer, contrairement aux propos récents du ministre de l’Intérieur et des dirigeants du CFCM, par remettre à plat l’identité et le fonctionnement de cette structure qui représente aujourd’hui moins du sixième des 2400 lieux de culte musulman dans l’Hexagone. Il faudrait ensuite écarter l’idée de créer une énième instance censée combattre le radicalisme violent, car cette instance n’en aura ni la légitimité ni la capacité. Partant de là, il faudrait scinder de manière claire deux domaines actuellement en tension, à savoir la représentation administrative du culte et la production d’un droit canon spécifique.
Le premier domaine est d’ordre technique et le plus simple à mettre en œuvre ; les protagonistes du CFCM auraient tout à gagner à s’entourer de véritables experts dans les différents champs du droit administratif et du management, afin d’offrir un véritable service et de faire monter en compétence les associations cultuelles de terrain dans leur relation avec les pouvoirs publics locaux.
Le second domaine est autrement plus compliqué ; il consisterait, pour les leaders religieux, à converger vers la production d’une doctrine canonique ancrée dans la culture française, par des imams français et pour des musulmans français. Cela ne pourra se réaliser qu’avec des imams possédant une connaissance profonde de l’histoire des institutions et de la culture françaises, et évoluant au sein d’une structure complètement autonome qui les fédérerait. L’État serait ici un soutien, le cas échéant, uniquement pour faciliter les conditions administratives de la mise en place d’une vaste fondation pouvant alimenter cette nouvelle étape vers l’islam français.