Entretiens et portraits

Omero Marongiu, le hussard sarde qui devint sage

Fouad Bahri

03 septembre 2014

Paru sur le site www.zamanfrance.fr

Fils d’un mineur italien en provenance de Sardaigne, natif de Valenciennes, Omero Marongiu est un homme discret. Ce sociologue adepte d’une approche humaniste est pourtant l’un des intellectuels musulmans de France les plus influents. Zaman France vous livre son portrait en exclusivité.

Il s’appelle Omero Marongiu et il a 44 ans. Ce nom ne vous dira peut-être rien. Il fait pourtant partie de ceux qu’il faut connaître dans le milieu des intervenants sur la question de l’islam en France. L’histoire d’Omero rejoint à plus d’un titre celle de la seconde religion de France. Né en 1969 à Valenciennes dans le Nord, Omero est le fils d’un couple d’immigrés italiens originaires de Sardaigne. Son père était mineur. De ceux qui côtoyaient l’autre immigration importante des années 70, celle du Maroc. «A l’inverse des Siciliens, les Sardes sont plutôt réputés pour leur discrétion, leur vie assez paisible mais également leur caractère assez renfermé», nous explique Omero qui a bien hérité de cette fameuse discrétion sarde.

Benjamin d’une fratrie de quatre frères et trois sœurs, le jeune Omero apprend vite la difficulté à faire sa place. «Avec mon grand frère on a douze ans de différence. Forcément c’est le petit dernier qui se coltine toutes les tâches un peu subalternes», décrit-il en reconnaissant néanmoins avoir été chouchouté par sa mère. Mais grandir à Valenciennes, outre l’accent nordiste cher aux ch’tis, c’est avant tout connaître les joies de la vie commune, celle des quartiers où ses camarades sont Espagnols, Italiens, Polonais et bien sûr Algériens et Marocains. «C’est une culture populaire et ouvrière très forte. J’ai passé toute mon enfance dans les rues des cités minières. Les gens vivaient en grande partie dehors, dans leur jardin, leur cour. Tout était prétexte à aller chez le voisin. Il y avait une vraie interaction entre ces populations».

La conversion

Dans ce creuset social et multiculturel, Omero se construit une double identité. Education sarde à la maison, socialisation française à l’extérieur. A 17 ans, il pose les premiers jalons de sa carapace identitaire et s’assume comme Français, ce qui est loin d’être une évidence pour toute une jeunesse s’inscrivant plutôt dans la filiation avec l’autre rive. Sans toutefois oublier ses racines. «Encore aujourd’hui je circule avec ma carte d’identité italienne, c’est purement affectif», nous confie-t-il. Un bac technologique et commercial en poche, le jeune Marongiu va alors faire le premier grand plongeon, celui qui changera sa vie. «Juste après l’année du bac je me convertis à l’islam. Comme d’habitude c’est la fautes aux arabes», dira-t-il avec humour. Cette conversion est le fruit de lectures, de débats passionnés menés tambour battant des nuits entières avec ses potes du quartier. Mais c’est aussi la rencontre avec la prière. «Ce qui a été vraiment le déclencheur de ma conversion, c’est la prière. Ça m’a chamboulé. Quand j’ai vu les musulmans prier, je me suis dit j’ai jamais vu ça à l’église».

L’annonce faite aux parents

Chez les Marongiu, on rit beaucoup moins. Baptisé, Omero a fait sa communion à 11 ans. Sa mère est une catholique festive, décrit-il et son père un farouche anticlérical, principalement à cause de la position de l’Eglise catholique durant la Deuxième Guerre mondiale en Sardaigne. «Il voyait les prêtres qui s’engraissaient la panse avec les propriétaires terriens qui disaient aux gens qu’il fallait être de bons ouvriers, bien respecter les maîtres, les propriétaires agricoles. Pour lui, l’Eglise était le symbole de la corruption… avec le pouvoir». La décision a néanmoins l’effet d’un choc.

D’autant qu’Omero était resté proche du curé de sa paroisse et avait même milité au sein de la jeunesse ouvrière chrétienne, à l’âge de quinze ans. «Juste avant mes dix-huit ans, le soir de Noël, je dis à mes parents :  »Je vais pas rester manger avec vous, je vais à la mosquée ». Mon père a pété un cable. Le lendemain il m’a attrapé et m’a dit :  »Tu veux rentrer dans la religion, tu deviens curé, tu prends pas la religion des Arabes ou tu prends tes valises »», ajoute-t-il, précisant que son père avait été négativement influencé par le comportement de ses collègues miniers marocains. Le petit rebelle de 18 ans, qui veut découvrir la vie, qui en a marre de ses parents «qui lui prennent la tête», prend son père au mot et prend la porte.

Un nouveau départ

Pendant quelques semaines, Omero part avec la jama’at at-Tabligh, ce mouvement pétiste venu d’Inde et dont l’objectif est de réislamiser les musulmans déculturés ou en perte de repères. Roubaix, Saint-Denis, Lyon sont les étapes de ce premier périple missionnaire. L’aventure ne dure pas longtemps. Les tablighs excellent à évoquer les hadiths quand Omero cherche à les comprendre. C’est alors qu’un de ses amis retrouve sa trace et lui téléphone. «Il m’a dit  »Tu fais ton sac, tu prends le train et tu me rejoins à Bordeaux »». L’ami lui ouvre un compte bancaire et finance son retour. Pendant six mois, le jeune Omero sera pris en charge par les fidèles de la mosquée de son quartier de Valenciennes. «A l’époque, c’était des chleuhs, des mineurs marocains et algériens, des anciens qui connaissaient le fils de Francesco (le père d’Omero, ndlr). Ils m’ont nourri, habillé, donné de l’argent. Je suis devenu la mascotte de la mosquée. Je leur dois tout».

Le retour du fils prodigue

Le contact est repris avec ses frères. Sa mère vient le voir. «Elle pleurait, me demandait  »Qu’est-ce que tu fais, reviens à la maison ». J’ai dit « oui mais papa ne veut pas. Je ne veux pas quitter cette religion ». C’était vraiment pénible». Son entourage, ses amis lui disent de se conformer aux souhaits de ses parents, lui rappellent la sacralité des liens du sang. Le mariage de sa sœur scellera les retrouvailles, y compris avec son père. «Mes parents m’ont dit «Tu fais ta religion, mais tu n’en parles pas». Omero se lance alors dans une autre voie, celle des études supérieures. Il choisit la sociologie. «La sociologie a été pour moi la deuxième révélation après l’islam. J’ai découvert des outils pour interpréter le monde et mettre des mots sur la manière dont l’homme vit avec les autres». A la fac, il passe son temps à la bibliothèque et dévore la littérature sociologique. Les treize années suivantes, il préparera sa thèse sur le rapport des jeunes à l’islam.

Le tour de France des mosquées

Sur le plan associatif, Omero Marongiu devient le disciple de Hassen Iquioussen, un prédicateur nordiste de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Ensemble, ils feront le tour de France des mosquées pour y prodiguer la bonne parole islamique durant la décennie 1990. En 1993, il intègre officiellement l’UOIF via l’association Jeunes musulmans de France (JMF). La pensée de Said Hawwa, un Syrien emprisonné puis tué par Assad père, le nourrit. L’oeuvre de Hawwa est une réflexion, à partir des textes de l’islam, sur l’engagement citoyen du musulman dans son environnement.

Son épouse, d’origine marocaine, l’encourage à apprendre l’arabe. Le Sarde ne se fait pas prier et bientôt son niveau lui permet d’accéder directement aux sources religieuses. «Ma trame était spiritualité et engagement. Toutes mes conférences étaient sur le thème «Il faut s’investir, créer des associations, être dans la citoyenneté politique». A la fin des années 1990, Omero se sent de moins en moins à l’aise dans son univers associatif. Sa formation universitaire, faite de méthodologie et de rigueur, s’accorde mal avec un esprit de l’approximation, de la polyvalence. «Le samedi midi je faisais une conférence sur l’économie en Islam, l’après-midi sur le soufisme et le soir sur la physique quantique. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai démissionné de l’UOIF», dit-il à demi ironique.

Clash à l’UOIF

L’autre raison sera le célèbre clash entre les JMF et la direction de l’UOIF au moment où le gouvernement Raffarin préparait une loi d’interdiction des signes religieux à l’école entre 2002 et 2004. Farid Abdelkrim, Hassan Iquioussen et Omero Marongiu démissionnent du conseil d’administration de la très active JMF en 2004 pour protester contre les injonctions du bureau de l’UOIF leur incombant de cesser tout soutien aux manifestations opposées à cette loi. C’est la fin d’une époque pour toute une génération de militants associatifs. «L’UOIF a raté un tournant très important dans les années 1990. Il n’y a pas eu de passage de relais avec les nouvelles générations. On commençait à prendre de l’âge, on arrivait à 25/27/30 ans et on n’arrivait pas à intégrer les sphères décisionnelles. Dans les associations locales de l’UOIF, on ne nous laissait pas accéder au conseil d’administration. Au niveau de la tête de l’UOIF, on n’arrivait pas à évoluer dans notre carrière militante. En même temps, l’UOIF avait un système où les dirigeants se donnaient le droit de réorienter l’activité des associations», détaille le sociologue.

Vivre et penser pour les autres

De 1997 à 2010, Omero poursuivra ses réflexions et ses échanges au sein de la «Commission islam et laïcité» fondée par des humanistes francs-maçons, un passage qui l’a marqué. Cette étape de sa vie nourrira chez le natif de Valenciennes une réflexion sur le rapport à autrui et à l’universel. «Je réfléchis beaucoup sur les conditions qui permettent aux hommes de vivre en interaction au delà de leurs différences. Le Coran ne nous donne-t-il pas une espèce de matrice qui permettrait de définir une société dans laquelle des individus qui n’ont pas les mêmes croyances vivent ensemble ? », confie-t-il.

Cette évolution dans la pensée du sieur Marongiu est une forme d’aboutissement théorique d’un cheminement qui l’a mené à voguer perpétuellement vers les autres, cette «partie intégrante de mon être», lâchera-t-il. Sur le plan professionnel, même ouverture vers autrui. Après avoir exercé en tant que chargé de mission dans un centre de ressource contre les discriminations dans le nord, Oméro devient le directeur d’un centre de ressource contre les discriminations à Nantes, dans les années 2000. Parallèlement, il crée sa propre structure, le European center for leadership and entrepeneurship (Centre européen d’éducation au leadership et à l’entrepreneuriat, ndlr).

Un optimiste prudent

Une cohérence qui sonne comme la résonance d’une existence dont le fil conducteur aura été le mot «rencontre». «Dans mon activité professionnelle, je mets concrètement en place les éléments de ma théologie. Dans ma théologie, je m’alimente de mon interaction avec le monde. Quand je fais des formations sur le management d’entreprise, j’essaye de développer une approche que je pourrais qualifier de spirituelle. Aujourd’hui les managers sont en souffrance parce qu’il y a une perte de sens sur la fonction d’une entreprise réduite à une machine à fric alors que c’est le lieu où les gens doivent pouvoir aussi construire une partie de leur être».

Quand on demande à ce hussard de l’humanisme quel regard il porte sur la société française, celui qui se «définit comme un optimiste prudent» sourit. «Je pense que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, c’est mon adage. Je ne crois pas vraiment aux prédictions catastrophistes. Un pays peut s’écrouler économiquement, il finira par se relever un jour ou l’autre. Le vrai problème est la crise de sens. On a perdu les grandes utopies, les grandes instances de socialisation, les mouvements d’éducation populaires, les grands syndicats, tout ce qui permettait à l’homme d’interagir avec les autres. Nous sommes au cœur de cette postmodernité qui a fragilisé les collectifs et toutes les identités individuelles». Pas de doute. Au bout de la route, l’héritier du clan Marongiu est devenu un homme. Et l’homme, un sage.

Pas encore de commentaire.

Ajouter votre réponse

Majeunesseunesemence |
En route pour les JMJ 2016 ... |
Ousmane TIMERA |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Fruitdelaterretravaildeshom...
| Evangilegrec
| PUISSANT MAITRE MEDIUM SHA...