La Plume 2012-2014

Juifst et musulmans : dialoguer à partir d’un ancrage citoyen

Tribune parue dans La Plume de l’Est d’avril 2014,

Le judaïsme et l’islam sont deux religions étroitement liées, et elles tirent leur richesse en grande partie d’une longue interaction à plusieurs plans.

Une longue histoire d’influences mutuelles

Au niveau historique, tout d’abord, peu de juifs et de musulmans mesurent à sa juste valeur la profondeur de la présence juive dans l’Arabie pré-islamique, matérialisée entre autres par la domination du groupe tribal yéménite des Banou Himyar sur l’Arabie centrale durant le cinquième siècle de l’ère chrétienne. Il n’est pas anodin de rappeler que ces juifs d’Arabie étaient de langue et de culture arabe, tout comme ils pratiquaient l’hébreu, comme l’indiquent très clairement les sources historiques musulmanes qui ont évoqué la situation particulière des trois grandes tribus juives de Médine et leur histoire durant la période médinoise de la révélation coranique. Cette histoire ne s’achève d’ailleurs pas avec l’installation de l’islam en Arabie, puis dans toute une partie du monde au septième siècle ; durant toute l’histoire de l’islam, des origines jusqu’à nos jours, juifs et musulmans ont toujours coexisté, collaboré, dialogué et polémiqué dans l’Orient comme dans l’Occident musulman. Il y a quelques années de cela, le réalisateur Karim Miské a d’ailleurs réalisé un documentaire en trois volets retraçant le long cheminement des relations entre les membres des deux groupes confessionnels. (1) En juillet 2011 le Maroc a, pour sa part, inscrit dans sa constitution que le pays représente « un espace fécondé par la civilisation arabo-musulmane, nourrie et forgée par les civilisations amazighe, juive, andalouse et hassanie ». Le pays accueille d’ailleurs chaque année une série de pèlerinages juifs qui sont autant d’occasion pour les juifs séfarades, répandus de par le monde, de renouer avec des racines ancrées dans une histoire très ancienne.

Des théologies qui se sont influencées mutuellement

Ce lien entre islam et judaïsme s’inscrit également dans une proximité linguistique, voire même théologico-juridique, qui échappe là aussi à de nombreux membres des deux communautés de foi. L’hébreu et l’arabe sont effet deux langues sémitiques très proches, et il existe un lexique religieux musulman sinon issu, tout du moins fortement influencé par la racine hébraïque ; on en trouve de multiples exemples qui vont de la façon de qualifier Dieu (Elohim) jusqu’à la dénomination même de la religion (dîn), en passant par l’élaboration du corpus doctrinal musulman qui a été influencé par l’exégèse traditionnelle juive de la bible. Les théologiens musulmans n’ont d’ailleurs jamais hésité à puiser dans cet héritage dans l’élaboration et l’évolution de leur corpus doctrinal. Aujourd’hui encore, il n’est pas envisageable d’étudier les sources scripturaires et doctrinales musulmanes sans poursuivre ce travail. Mais l’inverse est également vrai, et bien des juifs ignorent l’influence exercée par l’islam sur la production exégétique et la réflexion théologique et philosophique des rabbins durant tout le Moye-Age. Une piqûre de rappel est toujours profitable…

Dialoguer après Israël, c’est possible

Aujourd’hui, pourtant, le dialogue judéo-musulman pâtit d’une « assignation à être » exercée par des protagonistes des deux camps, sur fond de conflit israélo-palestinien. D’un côté, chez les musulmans, une espèce de vulgate centrée sur le « Nous sommes tous des Palestiniens » voudraient réserver le dialogue avec les « bons juifs » perçus à travers le prisme restrictif de « ceux qui condamnent ouvertement l’Etat d’Israël », ou encore les juifs anti-sionistes. De l’autre côté, certaines associations juives cherchent obstinément le « bon musulman », sous-entendu celui qui a forcément effectué son voyage à Auschwitz, qui n’est pas très politisé et, dans tous les cas, qui mettra en veilleuse toute velléité ou question fâcheuse sur le rapport que le juifs du monde entretiennent avec Israël. De mon point de vue, les deux options sont vouées à l’échec car elles se trompent d’ancrage fondamental. On peut en effet dialoguer de tout et avec tout le monde, franchement et sereinement, à partir du moment où l’on a déjà réglé ses comptes avec soi-même. Pour les deux parties cela consiste, a minima, à poser un regard sur le monde à la fois à partir de son identité religieuse, certes, mais également et peut-être avant tout à partir de son identité de Français, tout simplement. Dire cela revient à affirmer, d’un côté comme de l’autre, que je ne suis pas Palestinien tout comme l’Etat d’Israël ne possède aucun fondement religieux. En tant que musulman le regard que je porte sur ce conflit séculaire est alimenté par les mêmes valeurs qui me poussent à condamner des situations bien pires que vivent certains peuples, certaines sociétés de par le monde. Cela ne m’empêchera pas de dialoguer avec toute personne de confession juive, sur la théologie comme sur la politique, mais j’attendrai d’elle simplement la même exigence en terme de rapport critique à sa tradition religieuse comme à la position qui consiste, chez certains juifs français, à confondre identité religieuse et allégeance inconditionnelle à la politique d’Israël. De ce point de vue, juifs et musulmans, en France plus particulièrement peuvent être les promoteurs d’un dialogue de paix extrêmement profond et puissant.

(1) Juifs et musulmans, si proches, si loin, réalisé par Karim Miské, 2010

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