Le Prophète était-il « fashion » ?
Cette Tribune a été publié sur le magazine La Plume de l’est de février 2013
Le Prophète de l’islam (pbsl) est un personnage à la fois très connu et largement méconnu, notamment dans les aspects les plus subtils de sa vie personnelle et sociale, qui l’ont pourtant propulsé au rang de l’homme le plus vertueux parmi les Arabes de sont époque. On retient de lui, bien trop souvent, l’image d’un chef de guerre ayant dirigé d’une main de fer la création et le développement d’une religion tournée vers le prosélytisme et l’expansion. Plus qu’une caricature, cette image est au antipodes d’une réalité historique qui voit naître une communauté de foi, au centre l’Arabie du 7e siècle, puis sa consolidation. Cette communauté surgit au sein d’une société polythéiste dont les notables déploieront toutes sortes de pression pour tuer dans l’œuf une religion capable de remettre en cause leurs intérêts économiques centrés sur le pèlerinage vers les idoles mecquoises. De leur côté, certains musulmans ressassent à loisirs toutes les étapes de la vie de Muhammad, avant et pendant la prophétie, jusqu’à la conquête de la Mecque et sa « purification » du culte idolâtre, transformant le Prophète de l’islam en véritable chef de conquête. Il est vrai que, depuis des siècles, sur fond d’épopée héroïque, des historiens et des théologiens de l’islam, et jusqu’au musulman lambda, ont forgé une image pervertie de ce qu’avait pu être la réalité de la vie du fondateur de l’islam. Muhammad était-il un vaillant guerrier ? Soit. Un bon chef militaire ? Certainement. Un fin chef politique ? Probablement. Mais n’oublions pas que tous ces aspects de sa vie sont liés à un ensemble de contingences qui vont l’amener à organiser la survie de cette communauté de foi naissante face aux exactions des polythéistes mecquois. A côté de cela, d’autres musulmans s’enfoncent dans un conformisme vestimentaire de ce que le Prophète, ou ses contemporains, sont censés avoir revêtu, en frôlant parfois un mimétisme complètement caricatural et ridicule. Le Prophète portait-il une djellaba ? Parfois, peut-être. Avait-il une longue barbe ? Plutôt de longs cheveux, nous rapporte la tradition. Nous a-t-il demandé de faire perdurer ou de diffuser de par le monde le code vestimentaire arabe ? Certainement pas. En tant que musulmans, au delà du répertoire historique et du catalogue vestimentaire, il nous importe avant tout de connaître et de faire connaître au monde l’aspect le plus basique et pourtant le plus fondamental du Muhammad : sa venue en tant que Prophète et sa noblesse de caractère. Muhammad était-il beau ? Sans l’ombre d’un doute. Mais encore, était-il charmant ? Sa beauté, nous rapporte la tradition, concurrençait tous les canons en vigueur à son époque. Muhammad, avant toute chose, est le porteur d’une foi et d’un message destiné à ouvrir un horizon vers le divin en parachèvement du cycle de la prophétie monothéiste. Et si son message a pu porter aussi loin et aussi haut, sur toute la surface du globe, c’est avant tout parce que celui qui l’a transmis était connu et reconnu comme le plus noble, dans sa personne et dans son caractère, selon les standards de la société de son époque. Loin de l’image austère ou rustre que d’aucuns auraient tendance à lui prêter, Muhammad était beau, bon, élégant et savait user de tous les ressorts de la culture arabe pour porter son message. En un mot, il était fashion dans son propos comme dans son vêtement. Toutes les hagiographies l’attestent : Muhammad aimait s’habiller de façon élégante, sans abus ni vantardise. Il adorait se parfumer et attachait un soin particulier à la propreté de son corps. Lorsque les cheveux lui tombaient sur les épaules, il leur consacrait un soin particulier à l’onguent, de même qu’il soignait sa barbe, laquelle n’était pas protubérante. En un mot, non seulement le Prophète de l’islam attachait un soin extrême à renvoyer une image positive à son environnement mais, surtout, il travaillait la prestance qui sied à un personne destiné à la tâche la plus noble qui soit, celle de transmettre la parole de Dieu aux Hommes. Oui, Muhammad était vraiment tendance, et s’il venait à nous aujourd’hui, dans notre société contemporaine, il est fort à parier qu’il porterait le costume ou tout autre habit culturel à l’instar des plus grands et des plus branchés, en l’accompagnant de la prestance (hîbah) qui sied au porteur du message divin. Il nous revient, dans nos références musulmanes, à réfléchir profondément à l’image que nous renvoyons au monde. De ce point de vue, on peut facilement comprendre que l’islam n’est pas qu’un message virtuel déconnecté de la réalité. Oui, les gens ne connaissent pas et ne connaîtront jamais l’islam en tant que tel, ils connaîtront par contre très certainement des musulmans. Suivons les pas de la prestance dans l’humilité… En terme de vie personnelle et de relations sociales, Muhammad donne à ses fidèles des indications générales, en mettant en avant le fait que la relation sociale se situe entre le partage et la modestie. Il dit ainsi, par exemple : « Mangez, dépensez de vos biens en aumône et mettez de beaux habits, sans exagérer ni vous pavaner. (1) » Il donne également ce conseil général « Mange ce que tu veux de nourriture licite, et vêtit toi à ta convenance, sans exagérer ni te pavaner. (2) » Les sources scripturaires musulmanes regorgent de textes liés à la beauté et à douceur que le musulman doit entretenir dans sa vie personnelle comme dans ses relations sociales, qu’il soit homme ou femme. Le but est très simple : refléter l’image de quelqu’un qui est bien dans sa peau, ancré dans sa foi, beau à l’intérieur comme à l’extérieur, doté d’une prestance tout en gardant son humilité. Loin de cette image, on est tout de même en droit de se questionner au sujet de musulmans qui, à force de s’attacher à la lettre du texte en viennent à perdre les orientations fondamentales du message pour, au final, devenir eux-mêmes des caricatures de l’islam et de son Prophète. Le musulman doit-il avoir une barbe hirsute pour refléter l’image de l’islam ? La musulmane doit-elle offrir à la face de ses contemporains l’ombre de son être pour vivre à temps plein sa spiritualité à l’abri d’un monde impur ? S’il ne fallait que cela pour changer le monde, on l’aurait su et vu depuis bien longtemps… Malheureusement, c’est plutôt la crainte et le rejet, face des attitudes de défiance vis-à-vis du monde qui se développent par trop au sein de la sphère musulmane. Un croyant bien dans ses baskets, quant à lui, n’hésite pas à entrer dans le monde avec le référentiel de son temps et de son lieu de vie, car il sait que la prestance dans l’humilité est un art prophétique qui doit se fondre dans son époque pour porter le cœur du message divin. Vous voulez porter le message divin au monde ? Une solution, la seule vraie et efficace : un bel habit porté dans l’humilité du comportement vous ouvrira les portes des esprits les plus récalcitrants. A défaut de convertir les gens – ce qui, au passage, n’a jamais constitué une quelconque obligation dans les textes de l’islam – vous gagnerez des amis et des gens bienveillants, à l’instar de tous ceux qui ont porté et entouré Muhammad, sans parfois même partager sa foi. C’est cela le secret de l’héritier des Prophètes car « Dieu est Beau et Il aime la beauté ».
(1) Ce propos est rapporté par l’imam Ahmad et dans plusieurs sunan (Tirmidhî, Nasâî et ibn Mâjah).
(2) Ce propos est rapporté par l’imam al Bukhârî dans son recueil en préambule du chapitre consacré au vêtement.