Le converti et sa place particulière au sein de la communauté
Article paru dans la Plume de l’Est de décembre 2012, Convertis à l’islam
Nous vivons à une époque où les changements d’orientation personnelle, professionnelle, culturelle ou religieuse sont une donnée courante (cf l’article suivant de Moussa Khedimellah). Au sein de cette « dynamique de changements », la conversion a l’islam semble tenir une place de choix, mais qui n’est pas à l’image d’un parcours tranquille dénué d’embûches.
Les profils du converti
Dire exactement combien il y a de personnes converties à l’islam en France relève d’une pure spéculation, car il n’existe aucune statistique fiable dans le domaine, et la loi française interdit les recensements sur la base de l’appartenance religieuse. Les fourchettes oscillent entre quelques milliers et plusieurs centaines de mille, le plus probable étant une fourchette oscillant autour de 50 000 personnes. Les sociologues ont l’habitude de distinguer les personnes qui se convertissent à l’islam après un certain cheminement intellectuel et/ou spirituel – encore appelée conversion rationnelle - et les personnes qui se convertissent par le fait de côtoyer plus ou moins longuement des musulmans, en d’autres termes des convertis relationnels. Si le cheminement des premiers s’affirme le plus souvent en lien avec des lectures ésotériques et l’insertion dans de petits groupes affiliés aux grandes tendances soufies, celui des deuxièmes comprend en fait deux grands profils. Le premier, largement sous-estimé chez les musulmans comme chez les non musulmans, correspond aux « conversions amoureuses » d’hommes ou de femmes désirant pérenniser leur relation avec l’être aimé. Les mosquées et les consulats de différents pays d’islam en France voient ainsi affluer chaque année un certain nombre de personnes demandant l’établissement d’un certificat de conversion. Dans le cas d’une fille musulmane désirant officialiser son union avec une personne non issue d’une famille musulmane, la situation est plus tranchée puisqu’en général ce sera l’autorité consulaire elle-même qui exigera l’établissement de ce certificat de conversion pour le conjoint non-musulman. Le second profil, quant à lui, est le plus souvent celui des « jeunes de quartiers » qui passent à l’islam après avoir côtoyé pendant plusieurs années des amis musulmans au sein de groupes de socialisation dans lesquels, parfois, ils sont déjà expérimenté la pratique du jeûne et d’autres rites musulmans avant même de se convertir, par mimétisme avec le groupe.
Vénération et mystère de la conversion
La conversion est toujours plus ou moins vénérée et, dans le même temps, entourée d’un certain mystère chez les musulmans. Car le converti est tout d’abord une personne ayant fait le choix de quitter ses croyances et autres convictions préexistantes pour adhérer à l’islam, et il reçoit en cela une double récompense, conformément à ce passage coranique de la sourate 28 : « Ceux à qui, avant lui [le Coran], Nous avons apporté le Livre, y croient. Et quand on le leur récite, ils disent : « Nous y croyons. Ceci est bien la vérité émanant de notre Seigneur. Déjà avant son arrivée, nous étions Soumis ». Voilà ceux qui recevront deux fois leur récompense pour leur endurance, pour avoir répondu au mal par le bien, et pour avoir dépensé de ce que Nous leur avons attribué. » Il n’est pas rare, d’ailleurs, de voir dans les mosquées se multiplier des « cérémonies » de conversion à l’issue de l’office hebdomadaire du vendredi ou lors de manifestations religieuses. De ce point de vue, le converti symbolise la dimension universelle de l’islam, sa permanence et son extension au sein des populations non arabes. La dimension personnelle, intime et discrète de la conversion peut alors purement et simplement s’estomper devant la liesse d’une foule musulmane déclamant la grandeur de la « communauté » des fidèles. Durant ces moments de communion intense, on peut voir ici et là les regards ébahis et les sourires compatissants des musulmans observant le converti se torturant à prononcer la formule « J’atteste qu’il n’y a point de divinité en dehors de Dieu et que Muhammad est son Prophète » que l’imam tente de lui faire réciter en arabe. Et voilà qui est fait, le converti devient notre « frère en islam », et nous ne manquerons pas de l’appeler par son nouveau « prénom musulman » qu’il aura choisi ou qu’on lui aura désigné, sachant que cette pratique n’est absolument pas attesté d’un point de vue religieux.
Mais, dans le même temps, le converti se trouve au début d’un long chemin, et très rapidement les musulmans de son entourage ont tendance à l’abreuver d’une science dont les couches n’ont d’équivalent, bien souvent, que le caractère assez superflu. Dans une période de relative fragilité à la suite de leur passage à l’islam, bien des convertis sont alors tentés d’être plus royalistes que le Roi et d’en faire plus que les autres en matière de religion, notamment pour apparaître comme l’archétype parfait du musulman. Dans certains cas, ce sont les autres musulmans qui focalisent leur attention sur celui-ci, comme s’ils projetaient sur sa personnes tous leurs rêves d’une pratique religieuse parfaite. « Attention, en islam tu dois faire ceci et cela, et tu ne dois pas faire ceci et cela », oui mais quid de ce que ces musulmans pratiquent eux-mêmes de leur religion ? Le converti se retrouve parfois acculé dans des méandres d’une pratique véritablement encombrée d’excès : excès dans le vêtement, dans le rapport à la pureté rituelle, dans les règles de bienséance, ou encore dans les conventions linguistiques arabes ou les « ma challah mon Frère » côtoient « staghfiroullah ou les subhanallah » comme autant de leitmotiv qui, à défaut de refléter une profondeur spirituelle, n’en tendent pas moins à dépersonnaliser l’individu.
Des convertis au statut hybride ?
Voici donc un converti à l’image de ce que voudraient bien des « musulmans d’origine » ; il a quitté ses anciennes attaches et il plonge littéralement dans le « dîn ». D’aucuns se laissent même à penser qu’il est le « vrai musulman ». Oui, mais… car il y a toujours un « mais » ou un bémol dans l’histoire, c’est celui de l’enfermement dans le statut de celui qui ne sera jamais un véritable fils du Prophète car il n’est pas Arabe. C’est ainsi que, depuis l’aube de l’expansion de l’islam à l’échelle planétaire, les musulmans ont connu des périodes de très fortes ouvertures sur les sociétés non musulmanes comme des périodes de très fort repli sur soi et de rejet de l’autre, parfois même du converti. En Asie, l’islam s’est implanté d’une manière paisible sans remettre en cause le fond culturel de la société indonésienne ou malaisienne par exemple. Ce fut également le cas en Espagne Andalouse, où les musulmans ont toujours été minoritaires et où leur culture se situait au carrefour de l’Orient et de l’Occident. Par contre, l’empire Omeyyade a connu ses heures ombres au cours desquelles certains sultans ont complètement ostracisé les populations ayant fraîchement adopté l’islam en les enferment dans une espèce de statut du converti ne pouvant pas accéder aux mêmes droits que les autres musulmans. Près de quatorze siècles plus tard, certains convertis se plaignent d’être regardés de haut par leurs coreligionnaires dans le statut assez contradictoire de « celui qui doit en faire plus que les autres » mais qui de toute façon « ne pourra jamais accéder à une connaissance profonde de l’islam car il n’est pas Arabe ».
Le fait que certains convertis entrent dans une espèce de logiciel francarabe n’est certainement pas étranger à cela. Cette attitude vient en effet s’ajouter à leur volonté à la fois de se détacher d’anciennes attaches qu’ils jugent contradictoires avec leur nouveau statut de musulman, mais également de se fondre dans un groupe d’appartenance musulman le plus souvent d’origine maghrébine. Il faudrait peut être rappeler à tous ces musulmans que l’islam ne se mesure pas à l’arabité de ses adeptes, car sinon il aurait disparu depuis bien longtemps. Les Arabes représentent en effet à peine 20 % des musulmans de la planète. De même, l’islam a toujours pris la couleur des pays dans lesquels il s’est diffusé ; en France, point n’est besoin de s’habiller de façon exotique ou d’employer des formules arabes à tout-bout-de-champ pour affirmer son islamité. Et là, les convertis à l’islam ont un véritable boulevard devant eux pour construire un rapport apaisé à cette religion universelle.