La Plume 2012-2014

Des musulmans schizos dans une société schizo ?

Article paru dans La Plume de l’Est d’octobre 2012, Les musulmans en perte de repères ?

Il y a toujours un risque à parler de schizophrénie, car le terme possède une double connotation, avec un même fond pathologique mais des implications différentes. Le commun des gens et les médias grand public ont pris l’habitude d’utiliser le vocable dans le sens de « double personnalité », un peu à l’image de Dr Jekyll & Mister Hyde, pour pointer du doigt les contradictions entre les propos et/ou les comportements de ceux qui sont tour-à-tour affublés d’une panoplie de critiques censées mettre en évidence leur double-jeu. De ce point vue, il y aurait des musulmans schizophrènes parce qu’à la fois vindicatifs vis-à-vis de la société mais profiteurs à l’excès, ou encore s’affichant comme musulmans pieux attachés à des détails de l’islam tout en transgressant des éléments fondamentaux de l’éthique ou de la pratique religieuse.

D’un autre côté, la société française serait schizophrène parce complètement en contradiction entre ses discours et ses actes – lois, décrets et autres circulaires, entre autres – au sujet de la laïcité, du respect du pluralisme par exemple, tout en stigmatisant sans cesse les musulmans. Tout cela est en partie vrai ; il y a des espèces de volte-face, des façons de pointer du doigt l’islam et de renvoyer les musulmans dans le camp du danger perpétuel qui créent un climat extrêmement malsain. Mais tout cela cache en fait le fondement même de l’attitude schizophrénique, qui n’est autre qu’une perte de contact avec la réalité pour s’enfermer dans un univers fictif où le monde de la peur devient le moteur d’une jouissance perverse.

La schizophrénie, d’un point de vue psychiatrique, relève de la maladie mentale, car il s’agit d’une psychose qui se caractérise par une rupture de contact avec l’environnement. Elle possède des traits spécifiques dont nous en relevons quelques uns : le repli complet sur soi, le délire imaginaire, l’angoisse et la peur qui confinent à l’hystérie ou à la paranoïa, le tout induisant un comportement incohérent. L’un des aspects les plus visibles est celui de la personne qui erre en se parlant à elle même, à l’image du « mytho » ou du « schizo » dont les observateurs se délectent parfois avec un sourire à la fois complice et gêné. Si l’on s’en tient juste à ces quelques symptômes, on peut affirmer qu’une bonne partie de la société française comme des musulmans sont effectivement assez schizos. Mais à force de voir la paille dans l’oeil des musulmans, la société à tendance à oublier la poutre qui se trouve dans le sien.

Une société un peu trop paranoïaque

Quel est donc cet « islam » dont la France à peur ? On pourrait même poser la question du qui est cet islam, tant la tendance à personnifier les choses et les concepts est à la mode. Dans l’esprit des politiques et des intellectuels atteints de « schizoslamite aigüe », l’islam a ainsi pris la figure d’un Freddy Krueger[1] des temps modernes, surgi des entrailles du néo-islamisme pour  transformer en cauchemar vengeur les rêves d’une société laïque qui avait cru enfouir les cendres d’une religion belliqueuse dans les tréfonds du passé. Lors de l’émission Mots Croisés du 24 septembre dernier, intitulé « Islam, où est le problème ? », on a pu ainsi voir, entre autres, Alain Finkielkrault enfoncer le clou de la peur en construisant le fil d’un psychodrame national où l’islam est présenté sous le visage le plus sombre ; les musulmans imposeraient leur loi, progressivement et sournoisement, à des pans entiers de la société, en commençant par tous les endroits où l’esprit régalien est de mise. Hôpitaux, écoles, services publics de l’Etat, services sociaux et culturels des collectivités locales, et bien entendu les grands ensembles urbains où les musulmans seraient gangrénés.

Oui, ils marcheraient désormais au pas cadencé des bottes de l’islamo-fascisme dont les chefs auraient la figure d’un Ben Laden gonflé aux hormones et doté des plus belles armes des Expendables, avec une légion de soldats d’autant plus invisibles qu’ils auraient pour fonction de se fondre dans la masse. Certains auteurs, à l’instar de Michèle Tribalat[2], démographe, et d’Anne-Marie Delcambre[3], se font les chantres de l’alerte contre l’hégémonie islamique qui n’a d’autre but que d’imposer la Charia à l’Occident, et plus particulièrement à la France. AM Delcambre, docteur en civilisation islamique, a produit en 2003 une approche assez ubuesque de l’islam, qu’elle présente à travers un prisme juridique pour affirmer que, intrinsèquement, cette religion porte le germe de l’obscurantisme le plus fort ; « Au risque de choquer, écrit-elle, il faut avoir le courage de dire que l’intégrisme n’est pas la maladie de l’Islam. Il est l’intégralité de l’Islam ».

Des musulmans pris au piège des peurs collectives

Les scénarios sont bien ficelés mais, pour reprendre une formule célèbre « Les islamistes, combien de divisions ? ». En d’autres termes, où sont concrètement ces musulmans qu’on nous dépeint à longueur d’émissions et d’articles comme les grands méchants loups ? Il semblerait que ceux-ci existent avant tout exclusivement dans l’imaginaire de ceux qui les dépeignent. En effet, avec toutes les guerres qui ont secoué le monde musulman depuis plus de 30 ans, si les musulmans de France représentaient réellement cette cinquième colonne il y a longtemps que la France serait tombée sous la coupe du radicalisme.

Or, hormis un nombre restreint de comportements bellicistes de musulmans radicaux – de l’ordre de quelques dizaines chaque année – l’immense majoré silencieuse des musulmans sont comme Monsieur Tout-le-monde ; ils mangent, ils boivent, ils rient, ils pleurent, ils s’amusent, ils ont des amis musulmans et non musulmans, et puis… ils fréquent peu ou prou leurs lieux de culte. Et bien mince, leur(s) éthique(s) de vie ne les distingue(nt) finalement pas trop de Monsieur Tout-le-monde. Et c’est peut-être pour cela qu’ils passent inaperçus ! Par contre, à force d’instiller la peur dans la tête des Français, et bien on réussit à créer un véritable malaise qui confine à la paranoïa. Et à la fin, tout le monde pâtit de cette situation. Ainsi, le musulman lambda se retrouve parfois confronté à des situations où des collègues, des amis, des clients, etc. non musulmans, atteints subitement de schizoslamite aigüe, ne le voient plus ; ils projettent sur lui leurs peurs en le bombardant de questions ou de reproches pour lui signifier toute l’image péjorative que l’islam renvoie dans leur imaginaire. A lui ensuite de prouver qu’il est lui, simplement, dans sa subjectivité et sa proximité avec eux, et non le monstre hideux qui aurait pris enveloppe humaine pour mieux se fondre dans la masse.

La société bien-pensante se plaindra ensuite que la « majorité silencieuse » des musulmans ne s’exprime pas assez, que les responsables du culte ne condamnent pas plus fermement les dérives du radicalisme, etc. tout en confortant l’image que de toute façon l’adhésion et/ou la pratique de l’islam ne peut que mener à une forme de radicalité. On a l’impression parfois d’y perdre la tête, mais que voulez-vous, la France a ses mystères que la raison ne saurait percer…


[1]     Freddy Krueger est le personnage central du film Les Griffes de la nuit devenu célèbre pour son visage entièrement brûlé et son gant équipé de griffes d’acier.

[2]     Cf Michèle Tribalat, « L’islam reste une menace », tribune publiée dans Le Monde du 13 octobre 2011.

[3]     Anne-Marie Delcambre, L’islam des interdits, Desclée de Brouwer, 2003.

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