Le Halal ne passera pas par moi !?
Article paru dans La Plume de l’Est de juin 2012, La France est-elle halal ?
Sur les questions liées à l’islam, en France, il faut considérer l’actualité et la trame de fond qui traverse la société française. L’actualité est désormais bien connue ; à l’approche de chaque échéance électorale le « péril vert » est presque systématiquement pointé du doigt par un certain nombre de politiques, Front National en tête mais de manière non exclusive. En tout état de cause, si le ramage du politique se rapportait au plumage des musulmans, Marine aurait été la véritable hôte de l’Elysée, mais il semble que le Halal n’ait pas fait recette dans la cuisine électorale du cru 2012. Les Français auront au moins appris un nouveau mot arabe – za’ma, comme dirait l’autre – mais ils ont besoin maintenant qu’on leur donne des indications claires sur ce que le terme représente. Etymologiquement, halâl signifie en arabe ce qui est licite ou autorisé. Il est employé pour désigner les actes du culte ou de la vie sociale qui ne sont pas interdits par la loi musulmane. Aujourd’hui, le mot un pris un sens spécifique, au niveau de l’alimentation, pour désigner à la fois la viande issue de l’abattage musulman et, plus généralement, tout produit alimentaire qui ne contient aucune substance considérée comme illicite du point de vue de l’islam.
Un marché en pleine expansion
Et c’est ici qu’il faut prendre en compte la trame de fond qui traverse la société française. Le marché du halal connaît aujourd’hui un développement très important. Deux cabinets ont rendu des études récentes sur cette question[1] ; leurs estimations sont prudentes mais le marché est tout de même évalué à environ 500 milliards d’euros au niveau mondial. En France, il est à l’heure actuelle moins développé que dans d’autres pays européens, avec une offre centrée sur l’alimentaire. Cependant, les études indiquent qu’il représente au moins 4 milliards d’euros, avec une progression de l’ordre de 10 à 15 % ces dernières années et un public de consommateurs de l’ordre de 10 millions de personnes. Cette tendance perdurera certainement ces prochaines années, du fait de l’évolution croissante de la demande et de l’extension de l’offre. En tous cas, le marché est suffisamment porteur aujourd’hui pour intéresser les poids lourds de la grande distribution, et de nombreux industriels de l’agro-alimentaire se sont investis dans le halal. On peut les lister selon la typologie suivante, non exhaustive : les leaders spécialisés dans le halal (Isla Délice, Isla Mondial et Médina Halal), les grossistes en viande (Bigard, LDC, Doux, Duc, Terrena), les leaders des produits préparés (Nestlé – avec Herta et Maggi -, Fleury Michon, Panzani – qui a racheté la l’entreprise Zakia -, les distributeurs (Casino – avec sa marque Wassila -, Toupargel, France Kebab). On peut ajouter à cette liste les PME montantes comme Halaland, les fabricants et distributeurs de friandises comme Haribo, et les fabricants et distributeurs de produits cosmétiques. Un secteur particulier fait l’objet d’une difficulté d’étude et d’estimation, c’est celui de la petite restauration (pizzérias-kébabs). Il représenterait, en France, plus de 1,5 milliards d’euros. On peut donc gloser à loisirs sur les tenants et les aboutissants du halal, mais il serait complètement suicidaire au plan politique de casser l’ascension du marché sous des prétextes pseudos-identitaires, d’autant plus qu’une partie des producteurs précités fournit plusieurs pays musulmans du Maghreb et du Machreq en viande halal, notamment en volailles. D’un autre côté, les protagonistes musulmans devront bien un jour se mettre d’accord sur l’articulation entre les règles de l’abattage dit islamique et le respect des volumes de production des abattoirs car le consommateur, musulman ou non, veut du halal… et même beaucoup de halal. A ce plan, comme le mentionne Jean-Jacques Gouguet[2] « C’est l’économique qui va dicter sa loi pour imposer une solution. Le religieux adaptera ensuite son discours en l’agrémentant éventuellement de justifications scientifiques sur la douleur animale. En effet, les enjeux économiques autour de la viande casher ou halal sont considérables du fait de l’ampleur des marchés concernés, soit à un niveau national soit à un niveau international. » On notera par exemple que le Salon international du halal, appelé Halal Expo, connaît aujourd’hui un rayonnement européen, avec près de la moitié des visiteurs étrangers. Le halal risque bien de passer par chez moi, même à l’insu de mon plein gré…
Des consommateurs qui se diversifient
Mais quel est donc le profil du consommateur halal ? Les discours, à ce sujet, relèvent encore trop souvent du fantasme de l’envahissement des musulmans. De manière globale, on peut lister les consommateurs du halal de la façon suivante[3] : des musulmans peu ou pas pratiquants pour lesquels consommer halal est intégré dans la culture, des musulmans des classes moyennes qui désirent accéder à la gastronomie française (notamment les plats préparés) dans le respect de leurs convictions, des non musulmans qui ont des liens avec des amis ou de la famille musulmans, et des non musulmans pour lesquels le halal relève d’un bon rapport qualité/prix. Selon cette typologie, les experts estiment que le volume global des consommateurs du marché de l’alimentation halal atteint près de 10 millions de personnes, avec de plus en plus de musulmans qui désirent allier le respect des convictions religieuses avec la « bonne bouffe » bien de chez nous. A ce plan, les restaurants gastronomiques estampillés halal se multiplient en région parisienne et, dans la gamme des produits licites, cassoulet, boeuf bourguignon et paella commencent à concurrencer sérieusement les produits du Maghreb. A cela, il faut ajouter le recyclage d’une partie de la viande issue de l’abattage musulman, et également de l’abattage juif, dans le circuit global de la viande, point qui a fait l’objet de la polémique alimentée par Marine Le Pen au début de l’année. Si les chiffres avancés par cette dernière sont absolument farfelus (soit 80 % de la viande distribuée en région parisienne qui serait « halal », excusez du peu), il n’en demeure pas moins que la question mérite d’être mise en débat. C’est un autre aspect de la trame de fond qui traverse la société française depuis plus de deux ans maintenant. Il suffit de constater l’inflation des questions au gouvernement, de la part de parlementaires de tous bords, au sujet de la nécessité de l’étiquetage des viandes. Selon ces derniers, le consommateur français doit savoir si la viande qu’il achète est issue ou non d’un animal abattu sans étourdissement préalable.
« Je veux savoir ce qu’il y a dans mon assiette ! »
Ici, le positionnement doit être clair : chaque consommateur a le droit de savoir ce qu’il met dans son assiette, et tout un chacun doit avoir la possibilité de connaître la provenance de la viande qu’il achète. Oui mais… le vrai problème réside peut-être ailleurs. En effet, au delà des questions d’abattage, c’est toute la chaîne de la production de masse qui doit être interrogée. Là encore, le consommateur, qu’il soit musulman ou non, devrait être en droit de savoir si la viande qu’il achète est issue d’un animal ne provenant pas d’une production de masse. Halal ou pas Halal, manger un poulet qui, de sa naissance à son abattage, n’aura jamais gambadé ni vu la lumière du jour, ce n’est vraiment pas le top. Finalement, le consommateur ne devrait-il pas aussi porter un regard critique sur son mode de consommation ? Mais ne chatouillons pas trop la bedaine du Français, il pourrait se braquer…
La fraude au halal, une réalité et des possibilités de contrôle
Du point de vue de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
Les services de la DGCCRF relèvent de manière récurrente des fraudes sur le halal, dont les principales sont : le mensonge sur la provenance des animaux, le mensonge sur le respect des règles d’abattage islamiques, le mensonge sur la traçabilité de la certification halal, l’abattage de bêtes présentant ayant un état de santé déprécié, la présence de porc dans les produits dérivés (jambon, saucisses, etc.), le non respect des normes DCHP (chaîne du froid notamment). Il est nécessaire de rappeler qu’à l’heure actuelle seules trois organismes de certification sont agréés par les autorités, ce sont les grandes mosquées de Paris, d’Evry et de Lyon. Les deux premières ont été concernées par de multiples accusations de fraudes (non contrôle de l’abattage, estampillage des carcasses par du personnel non agréé, délivrance de certificats halal à distance, etc.). La situation a connu une poussée paroxystique en 2010 et 2011, au point de toucher les principaux groupes français : Carrefour, Herta et Doux, en autres. Ces derniers ont du retirer de la circulation une partie de leurs produits halal après des plaintes et accusations de consommateurs. A titre d’information, le groupe Doux est l’un des principaux fournisseurs de poulets halal à destination de l’Arabie Saoudite ; le risque de perdre ce type de marchés représenterait une perte financière assez considérable.
La certification : une nécessité pour l’étiquetage « halal »
Depuis près de trente ans, la question se pose de la création d’un label halal, qui reposerait en fait sur une certification tenant compte de cahiers des charges spécifiques en fonction des types de produits (produits carnés, friandises, cosmétiques, etc.). Pour les produits carnés, par exemple, la question est de savoir quel organisme pourrait proposer un cahier des charges pouvant garantir : la traçabilité de la provenance des animaux, la qualité des filières d’élevage, la traçabilité de l’ensemble du processus de l’abattage à la réalisation des produits produits finis (chaînes d’abattage et de production halal), le respect des normes en vigueur (ISO, HACCP, etc.).
Le positionnement politique possible
Au cours de l’année 2011, le parlement a assisté à une multiplication des questions au gouvernement sur la recyclage d’une partie de la viande halal dans le circuit général, sans que le consommateur en soit informé. Les députés concernés estimaient que la viande en question devait être clairement étiquetée en tant que provenant d’un animal abattu selon le rite musulman. De la même façon, il est absolument nécessaire aujourd’hui d’assainir le marché de l’abattage halal et de la confection des produits dérivés afin que le consommateur soit sûr d’acheter un produit non frauduleux. Ce marché connaît une très forte croissance, laquelle continuera ces prochaines années. Cependant, cette progression pourrait connaître des ratés si les accusations de fraudes sur l’abattage et l’étiquetage des produits halal étaient confirmées. De ce point de vue, le politique et le législateur ont un rôle à jouer à deux plans, celui de la répression des fraudes et celui de la normalisation – ou certification.
[1] Il s’agit du cabinet Xerfi, qui a produit en 2010 une étude intitulée Le marché des produits halal à l’horizon 2012, et le cabinet Solis, qui a produit à la même époque une étude intitulée Horizons Shoppers.
[2] Jean-Jacques Gouguet, « Abattage rituel : le religieux au défi de l’économique », in Revue Semestrielle de Droit Animalier, 2/2010, p 303.
[3] Cf sondage Ifop, Les personnes d’origine musulmane et la consommation Halal, 2010.