La Plume 2012-2014

L’islam dans la laïcité, de nombreux défis à relever

Article paru dans La Plume de l’Est de février 2012 : La laïcité c’est quoi ?

La France est un pays de contrastes : par son histoire migratoire et son passé colonial, elle entretient avec l’islam et les musulmans une relation très spécifique parmi les pays de l’Europe occidentale. De plus, elle accueille sur son sol les plus grandes communautés juives, bouddhistes et musulmanes, en proportion de la population totale. Fort d’une longue tradition d’accueil des migrants, le pays compte aujourd’hui 5,7 % d’étrangers et près de 10 % d’immigrés et de personnes issues de familles immigrées. Si l’on remonte à la génération des grands-parents, près de 23 % de la population française est concernée par une histoire migratoire. Les musulmans représentent donc indéniablement une composante importante de ce paysage global, même si leur nombre est toujours difficile à estimer compte tenu de l’interdiction en France d’effectuer des recensements sur la base de l’appartenance religieuse. A la fin des années 1990, les calculs du Haut Conseil à l’Intégration indiquaient cependant que le nombre de personnes issues de familles musulmanes avoisinait les 4500000 personnes, avec un profil majoritaire de musulmans issus du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, lié directement à son histoire coloniale. A côté de ce profil majoritaire, les musulmans se répartissent en plusieurs sous-groupes respectivement à leur origine nationale, avec une proportion forte de rapatriés d’Algérie, encore appelés Harkis ou Français musulmans. On compte également des convertis, avec là aussi une estimation située dans une amplitude assez large, allant de 30000 à 100000 personnes. L’univers des convertis de compose de trois profils majoritaires, qui sont peu investis dans l’islam militant : les convertis par la quête spirituelle soufie, les convertis par le biais du mariage, et les convertis par proximité sociale dans les banlieues.

Une législation sur les religions très spécifique

Mais la France est aussi le pays européen qui a poussé le plus loin l’idée de laïcité par la séparation totale entre l’Etat et les institutions religieuses. Très sécularisée, elle compte un peu plus de la moitié de personnes s’affirmant catholiques (51 %), avec l’un des taux de pratique religieuse les plus faibles en Europe, soit environ 7 % de catholiques pratiquants. A l’inverse, 40 % de la population se définit comme athée. Au plan du droit, les associations cultuelles possèdent des droits et des obligations spécifiques contenues dans la loi du 9 décembre 1905, encore appelée « Loi de séparation des Eglises et de l’Etat ». C’est une loi de compromis visant à organiser la manifestation publique du culte, avec l’affirmation du principe de neutralité absolue de l’Etat vis à vis des cultes. Cependant, le bâti cultuel antérieur à 1905, essentiellement catholique, est à la charge de l’autorité publique qui en assure l’entretien et en accorde la libre jouissance à titre gratuit aux associations cultuelles, pour des raisons historiques spécifiques. A côté des presque 40000 édifices du culte catholique, les quelques 2200 mosquées et salles de prière peuvent donc apparaître comme relativement peu nombreuses. Pourtant, rapporté au nombre de musulmans respectueux des offices communautaires, le chiffre place la France en tête des pays européens. Aussi, s’il existait en l’an 2000 à peine une dizaine de grandes mosquées érigées spécifiquement pour la pratique du culte, on dénombre aujourd’hui pas moins de plusieurs centaines de projets de construction, de relocalisation ou de réhabilitation de mosquées, qui transforment le paysage cultuel musulman à une vitesse très rapide, avec au moins une centaine de lieux de culte musulman dotés d’un minaret.Un point fait cependant question, à savoir le nombre important de lieux de culte relégués dans des zones industrielles, ou en tout cas loin des zones d’habitat, ce qui confine encore parfois l’islam local dans des espaces de non-visibilité.

Une représentativité encore fragile

Dans ce paysage islamique français très contrasté, les questions liées à la représentativité cultuelle sont récurrentes depuis près de trente ans. De ce point de vue, l’islam de France reflète, quelque part, la réalité d’un monde musulman aux antagonismes multiples, pris dans des stratégies de groupes et des calculs étatiques assez complexes. Certaines fédérations musulmanes ont par exemple des liens étroits avec les autorités des pays d’origine. C’est le cas de la Mosquée de Paris pour l’Algérie, du Rassemblement des Musulmans de France (RMF) pour le Maroc, ou encore du Comité de Coordination des Musulmans Turcs de France (CCMTF) qui représente l’islam officiel turc. D’autres fédérations ont un lien avec une mouvance islamique particulière comme le Tabligh, mouvement prosélyte musulman le plus répandu dans le monde, ou les Frères Musulmans pour  L’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF). Les confréries soufies sont en partie représentées par la Fédération Française des Associations Islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA). Mais, au final, il est toujours difficile de savoir le poids que représentent ces fédérations et groupes auprès des fidèles, même si la mosquée de Paris, l’UOIF et le RMF affirment contrôler ou exercer une influence sur la majorité des associations musulmanes. De son côté, le gouvernement a joué un rôle très directif ces dernières années dans l’émergence comme dans le fonctionnement du Conseil Français du Culte Musulman. Installé en 2003, la composition actuelle du CFCM reflète la stratégie subtile de l’Etat visant à trouver un équilibre entre les différentes sensibilités nationales et idéologiques de l’islam de France. A tous les niveaux des instances du CFCM, on trouve à la fois des membres élus et des membres cooptés. S’y ajoutent des personnes qualifiées censées représenter la dimension culturelle de l’islam, et compenser le manque de parité hommes-femmes au sein de l’instance représentative. Le bureau exécutif, quant à lui, résulte d’une négociation préalable pour répartition équitable des postes entre les principales fédérations musulmanes. Les Conseils Régionaux du Culte Musulman ont un fonctionnement moins directif, et ils sont dotés de commissions travaillant sur les principaux dossiers relatifs à la pratique du culte musulman au niveaurégional. Lors de la dernière élection, La prédominance du RMF a entériné le leadership du Maroc sur l’islam de France, ce qui a provoqué des velléités récurrentes avec la mosquée de Paris.

La visibilité de l’islam fait toujours peur

D’une manière globale, on peut toutefois affirmer que les questions relatives à la pratique du culte musulman sont assez bien régulées en France, et ne font plus l’objet de débats nationaux passionnés. Le CFCM a pu faire avancer par exemple les dossiers relatifs aux mosquées, aux regroupements de sépultures musulmanes dans les cimetières, aux services d’aumônerie et aux repas halals dans l’armée sans polémiques majeures. Mais la visibilité croissante de l’appartenance à l’islam, parfois exprimée de façon radicale par certains musulmans, provoque de multiples tensions au sein de l’opinion publique. Celles-ci vont atteindre un premier pic majeur en 2003, après quinze ans de débats acharnés sur le port du voile à l’école, considéré par certains laïques comme l’étendard d’un islam agressif et hégémonique qu’il faut absolument éradiquer. Le 15 mars 2004, le parlement vote une loi qui interdit expressément le port “dans les écoles, les collèges et les lycées publics, […] de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.” Le vote de cette loi a été l’objet de nombreuses controverses en France. Dans le camp laïque, elle représente un rempart contre l’intrusion d’un prosélytisme religieux rétrograde dans les espaces publics. Pour les partisans d’une laïcité ouverte comme pour de nombreux musulmans, cette loi représente une atteinte grave à la liberté de choix et au pluralisme d’une société dont les combats anticléricaux relèvent d’un passé révolu. Si elle a été perçue comme visant directement le port du voile, la loi du 15 mars s’inscrit pourtant dans tout un ensemble de chartes qui incitent les services publics de l’Etat à prendre en compte les attentes et les demandes confessionnelles des usagers et des personnes accueillies en établissement, sous réserve que celles-ci ne portent pas atteinte au fonctionnement des services concernés. Cette multiplication des chartes et lois apparaît assez contradictoire, dans la mesure où les premières poussent à une prise en compte accrue des demandes à caractère religieux alors même que les secondes visent à les refréner. Au final, c’est  tout un chacun qui est renvoyé à sa propre interprétation des limites à fixer à la liberté d’expression religieuse dans tous les espaces de la vie sociale, avec son lot d’arbitraire. Mais il est cependant indéniable que l’on assiste ces dernières années en France à une augmentation de la visibilité d’un islam radical, dont le voile intégral ne représente qu’un aspect. Certes, cette adhésion à une pratique radicale demeure, en nombre, très périphérique, mais elle s’est soldé par la multiplication de conflits dans les écoles, les hôpitaux et les différents services publics de l’Etat. Ceux-ci vont aboutir à une nouvelle mission parlementaire d’information sur le port du voile intégral, en 2009, dont les conclusions récentes penchent vers son interdiction dans l’ensemble des services publics et dans les transports en commun. Derrière cette interdiction, une double idée se profile : la première est relative à l’identification des individus dans les espaces publics, et la seconde renvoie à l’idée d’émancipation de la femme. Mais à force de multplier les dispositifs coercitifs pour des phénomènes très minoritaires, l’Etat français donne l’impression de prendre les musulmans comme exutoire aux différentes peurs diffuses. De plus, depuis le vote de la loi du 15 mars 2004, on assiste à la prolifération d’un discours ouvertement raciste et islamophobe dans la classe politique, alors même qu’il demeurait auparavant confiné essentiellement dans les partis d’extrême droite.

Des musulmans sécularisés

Le danger réside donc dans l’exacerbation de phénomènes minoritaires, alors même que la majorité des musulmans est détachée d’une appartenance ostensible ou encore agressive à l’islam, même si certains leaders musulmans en donnent également l’image de personnes majoritairement pratiquantes. L’ensemble des monographies de terrain indiquent que les musulmans se répartissent en trois catégories majeures : environ 15 % de personnes se déclarant « pratiquants assidus », près de 20 % qui ne se définissent plus en tant que musulmans ni/ou croyants, et près des deux 2/3 qui oscillent dans une amplitude de pratique plus ou moins relâchée. Ces derniers forment ce que l’on pourrait qualifier de « majorité silencieuse » de l’islam, avec des parcours religieux très sécularisés, à l’instar de ce que connaissent d’une manière générale les religions judéo-chrétiennes. Ces musulmans sont peu marqués par les enjeux de l’institutionnalisation de l’islam officiel. Ils nourrissent cependant un fort sentiment de victimisation, en considérant que l’Etat français trouve dans la thématique de l’islam radical un prétexte à détourner l’opinion publique de problèmes socioéconomique autrement plus importants. Le dernier débat français sur l’ « identité nationale » pousse malheureusement à leur donner raison. En effet, il existe de multiples indicateurs montrant que les populations issues des pays d’islam subissent encore  un fort taux de discrimination dans le logement, dans l’emploi et dans l’accès aux services. Cela se double d’une discrimination liée à l’appartenance réelle ou supposée à l’islam, du fait du prénom ou de l’aspect physique, qui peut représenter à terme un vecteur de radicalisation des identités religieuses. Mais l’opinion publique semble être suffisamment alerte pour comprendre que la France ne pourra continuer à être que par la diversité des citoyens qui la compose.

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